Romain Aby est doctorant à l’Institut Français de Géopolitique (IFG). Ses recherches portent sur les États de la péninsule Arabique. Il est également animateur du compte de veille géopolitique sur les États arabes @abygeopolitique
Autour d’une carte inédite des ports et infrastructures d’hydrocarbures en Arabie Saoudite, Romain Aby commence ici un éclairage géopolitique de cet Etat du Moyen-Orient. Il présente d’abord le déséquilibre géographique des ressources naturelles, la stratégie d’implantation des raffineries et l’axe Est-Ouest de l’aménagement du territoire.
L’ACTIVITE pétrolière en Arabie Saoudite est d’une importance capitale dans la mesure où elle représente près de 80% des revenus de l’État [1].
Le royaume saoudien est un régulateur incontournable du marché pétrolier international, puisqu’il abrite à lui seul environ 10% des réserves mondiales pour une estimation totale des réserves nationales oscillant aux alentours de 260 milliards de barils [2]. La forte dépendance du royaume vis-à-vis des ressources en hydrocarbures est de nature à augmenter l’importance stratégique des sites de production, de stockage mais aussi des moyens d’exportation.
Dans le secteur gazier, l’Arabie Saoudite a initié depuis 2002 une politique de gros contrats sur l’exploration, dans la région désertique du Rub el Khali, au sud-est du pays. Cette action s’inscrit dans une augmentation continue des réserves prouvées de gaz en Arabie Saoudite depuis le début des années 1980. En 2010, l’Arabie Saoudite se positionne même au 11ème rang mondial pour la production de gaz naturel [3].
Toutefois, il semblerait que pour de nombreuses années encore, le pétrole doive jouer un rôle essentiel dans l’économie saoudienne. Il est à ce titre important d’identifier la logique d’implantation géographique des infrastructures vitales du royaume saoudien. Il faut pour cela aborder les sites d’extraction, mais aussi les raffineries qui jouent un rôle principal dans la préparation en amont de la principale source de revenus du royaume. Par la suite se pose la question de l’acheminement du pétrole produit, qui peut soit emprunter les oléoducs existants, soit être exporté par voie maritime.
La géographie des sites d’extraction est tout à fait intéressante dans la mesure où elle permet de déterminer la localisation des gisements pétroliers et leur concentration massive sur la côte orientale du royaume. Bien que certains sites d’extraction soient situés à proximité immédiate de la capitale administrative, Riyad, la plupart des sites d’importance se trouvent dans la province pétrolifère du Hassa, qui court sur 550 kilomètres le long du golfe Arabo-Persique et fait face à l’Iran, qui n’est qu’à 200 kilomètres. La région qui était en 1913 considérée par Abd el Aziz el Saoud [4] comme une oasis riche en dattes est aujourd’hui un centre industriel vital pour le royaume saoudien. La conurbation Dhahran- al Khobar autour de la ville de Dammam est l’une des principales places commerciales du royaume saoudien avec Riyad et Djeddah. Le port pétrolier de Jubail est un des principaux pôles de développement industriel du royaume, au même titre que le port de Yanbu sur le bord de la mer Rouge. Au total, l’Arabie Saoudite bénéficie de 21 ports modernes qui participent chacun à des degrés divers à l’activité maritime du royaume [5]. Néanmoins, il apparaît clairement que 9 ports gèrent le gros des activités commerciales et pétrolières. Sur ces infrastructures, 4 se trouvent sur la côte orientale et 5 sur la côte occidentale, un équilibre apparent qui doit toutefois être ramené à la longueur des deux façades maritimes, 550 kilomètres environ pour la première et plus de 2000 pour la seconde. La présence massive de gisements pétroliers, dont le plus grand du monde portant le nom de Ghawar, et la présence de la plus grande raffinerie de la région à Ras Tanura, a donc logiquement entraîné la construction d’une infrastructure portuaire plus dense sur la côte orientale que sur le bord de la mer Rouge, qui ne compte aucun gisement pétrolier.
En analysant l’implantation géographique des principales raffineries du royaume, il apparaît là aussi qu’un certain équilibre est de mise en comparant le nombre de raffineries : 4 au bord de la mer Rouge et 3 sur la côte du golfe Arabo-Persique. L’argument énoncé précédemment, qui postule que les deux façades maritimes ont des ordres de grandeurs différents est là aussi valable. Il faut également ajouter que les raffineries de l’est du pays ont, à l’image de celle à Ras Tanura, des capacités de raffinage supérieures à celle à l’ouest du royaume. De plus, il peut paraître surprenant de compter 2 raffineries à Yanbu et 2 à Djeddah alors qu’il n’y a de gisements pétroliers ni dans la partie ouest du pays ni même dans le centre-ouest. Pour comprendre ce besoin de raffineries à l’ouest de l’Arabie Saoudite, il faut remonter au début des années 1980, lorsque le pays a mis en service l’oléoduc « Petroline », long de 1 200 kilomètres, qui s’élance de la zone pétrolifère à l’est et se jette vers la mer Rouge, plus précisément au port de Yanbu.
La construction d’un oléoduc traversant l’Arabie Saoudite d’est en ouest offrait et offre toujours des avantages multiples. Dans un premier temps, l’apport pétrolier dans une région qui n’en bénéficiait pas à l’origine permet (à une échelle locale) de mieux diviser les revenus du pétrole, et plus précisément la création d’emplois qui en découle. C’est un choix particulièrement judicieux quand on sait que c’est l’est du pays qui abrite de nombreuses villes saoudiennes comme Djeddah, La Mecque, Médine, Taif, Tabuk et Abha. Dans un deuxième temps, la création de l’oléoduc permettait de mener une stratégie de protection des infrastructures, notamment en déplaçant certaines raffineries et aires de stockage. De la sorte, l’activité pétrolière ne dépendait pas exclusivement de la zone sensible politiquement qu’est le golfe Arabo-Persique [6]. Pour finir, l’accès à la mer Rouge offrait des avantages commerciaux considérables, dans la mesure où il permettait de raccourcir considérablement les distances de navigation pour atteindre l’Europe.
Les stratégies menées par le royaume saoudien sont donc dépendantes d’une implantation massive des infrastructures pétrolières à l’est du royaume. Ce déséquilibre des infrastructures est ammené à s’accentuer avec les explorations gazières dans le désert du Rub el Khali au sud-est du royaume. De plus, la demande croissante d’hydrocarbures de l’Inde et de la Chine devrait probablement entraîner, la construction de nombreuses raffineries à proximité de la route maritime la plus courte, donc sur la côte du golfe Arabo-Persique.
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. Voir sur le Diploweb.com la suite de cette présentation par Romain Aby de la "Géopolitique de l’Arabie Saoudite : organisation de la défense nationale", par Romain Aby Voir
. Voir un autre article de Romain Aby sur le Diploweb.com "Les relations saoudo-américaines à travers le prisme du "printemps arabe"" Voir
. Voir sur le Diploweb.com une carte de la "Production de gaz dans le monde", par l’Atelier de cartographie de Science Po et Roberto Gimeno Voir
[1] Source : cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/sa.html
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Fondateur de l’Arabie Saoudite.
[5] Source :lcweb2.loc.gov/frd/cs/profiles/Saudi_Arabia.pdf
[6] La région orientale du royaume saoudien est une zone géographique de crispation, dans la mesure où elle subit des tensions externes (menace iranienne et tensions dans le golfe Arabo-Persique) mais aussi internes (présence d’une forte communauté de chiites dans l’est de l’Arabie Saoudite).
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