Ambassadeur de France dignitaire, notamment ancien Secrétaire Général du Quai d’Orsay (1981-1985), ancien Ambassadeur à Madrid. Ancien Président de l’Institut Français du Pétrole. Ancien Président et Président d’Honneur de Gaz de France. Antérieurement, Directeur Général de la Croix Rouge Française.
Il importe de se pencher sur la place de la France dans le monde. L’Ambassadeur de France Francis Gutmann propose ici une vaste réflexion sur les défis à relever et les réformes à mener.
En 1975, Michel Jobert, avec Francis Gutmann, a écrit le Petit Livre Bleu du Mouvement des Démocrates. Près de 40 ans plus tard, Francis Gutmann reprend un certain nombre des sujets qui s’y trouvaient traités.
France, ton identité fout le camp !
Qui aujourd’hui pourrait avoir d’elle une autre image que celle du défaitisme et de l’abdication ?
La France morte, c’est ce qui l’attend à continuer de s’abandonner aux forces hostiles d’un monde qui lui échappe.
« Seuls survivront de la confusion générale, les peuples qui, par leur résolution et par leur réalisme, auront su à la fois être des acteurs de la transition et adapter leurs comportements à un environnement changeant. Mais qui l’auront fait en demeurant eux-mêmes » [1].
La France craint l’avenir, elle le déteste, elle le refuse. Ou alors elle veut y voir le prolongement d’un présent qu’elle récuse.
La France doute d’elle-même, elle se veut grande puissance, elle se dit puissance moyenne, elle n’a plus la volonté d’être elle-même.
Or la France n’existe que pour autant qu’elle se distingue.
Elle n’a plus la force d’être indépendante, c’est-à-dire de sauvegarder son identité et d’affirmer ses choix. Elle prétend n’en avoir plus le moyen, elle préfère céder à toutes les tutelles que la politique et l’économie lui imposent.
Ou alors elle se referme sur elle-même dans le déni de ce qui l’entoure.
Elle était un carrefour géographique, historique, politique, culturel, elle n’est plus qu’une impasse.
Elle se voulait porteuse d’un message, elle ne sait plus que donner des leçons.
Dans le trouble du monde, elle renonce à se faire un destin.
Il n’y a rien qui la mobilise, tout au plus, de temps à autre, elle s’indigne.
On invoque la République, on ne cite plus la France.
On célèbre la démocratie, on ne la pratique guère, la satisfaction individuelle prime sur l’intérêt général et la revendication sur l’effort de chacun.
La Nation est morcelée, divisée en de multiples fractions hostiles, ou concurrentes entre elles, la France est à l’encan.
L’opinion publique est asservie aux fantasmes d’une minorité de saltimbanques, la politique est accaparée par trop de bateleurs poursuivant sans fin de vains débats à l’écart des vrais enjeux.
A l’absurde ordre moral de naguère a succédé un funeste désordre mental.
Tout est permis et en même temps tout est réglementé.
C’est l’injustice de la Loi et de son application, de la société, du progrès lui-même.
Le changement désiré, le changement redouté, le changement maudit.
Les Français égarés, la France naufragée dans le vacarme du monde.
Non, ce n’est pas là un tableau noirci. Ne trichons pas, ayons le courage de nous regarder tels que nous paraissons être devenus. Mais est-ce vraiment la France ? Et va-t-on faire d’un moment de déprime la fin de plus de 1000 ans d’Histoire ?
L’indépendance est bien plus qu’une question de souveraineté. Elle est d’abord la volonté d’un peuple d’être et de demeurer soi-même.
Certes les Français ont peur.
Peur de ce monde qui leur est devenu comme étranger, qu’ils ne comprennent plus, peur de l’inconnu, peur de perdre à l’avenir ce que le passé leur avait apporté.
Ils ont peur pour le lendemain et les accidents de la vie, peur du risque et de tout ce qui peut les menacer dans leur environnement ou leur intégrité physique.
Peur d’une société dans laquelle ils ne se retrouvent plus, avec ses grands nombres et ses grands ensembles, ses désordres et ses contraintes, et tous les particularismes.
Déracinés, dépaysés, désorientés, les Français aspirent à la sécurité, sécurité chez soi, sécurité partout.
Plutôt que de se battre pour demeurer eux-mêmes, ils redoutent d’être trop petits face à un entour devenu démesuré.
Naguère confinés dans l’Hexagone, ils ne pensent plus qu’à s’expatrier, quitte à oublier leur pays.
Ils ne cessent de copier l’étranger comme un moyen de survivre.
Ils voudraient que partout l’Etat, leur protecteur séculaire, puisse les défendre, voire les suppléer, ils ne croient plus vraiment en son pouvoir.
De communautés vivantes, de communauté nationale, il n’en est plus que des fragments ou des catégories.
Chacun pour soi et tous les autres pour moi.
Le progrès demain ? Les Français doutent que pour eux du moins il puisse y en avoir encore un.
Dans la course générale, ils ont perdu le sens de la vie.
Cela est l’envers de la médaille, mais heureusement il y a l’avers.
Il n’est pas dit que les Français auront définitivement renoncé à se battre. Il n’y a pas de fatalité au déclin de la France. Ce n’est pas parce que le monde n’est plus le même, qu’elle ne peut de nouveau s’y assurer un destin singulier.
De tout temps, la France a été ainsi faite qu’il n’y a pas pour elle d’autre alternative que de vouloir et savoir demeurer à l’avant-garde, ou de, peu à peu, perdre sa liberté avec son identité. De savoir rester grande ou de devenir misérable.
Il est insupportable de voir aujourd’hui notre grande nation découragée et démobilisée, comme malade dans sa volonté. Rien ne justifie cette démission. C’est aux Français de relever la France et ils ont la capacité de le faire. Qu’ils cessent de compter sur un miracle ou la venue de quelque sauveur pour les dispenser de l’effort à accomplir. L’avenir sera ce qu’eux-mêmes en auront fait. Ils en sont tous responsables. Allons enfants…
Pour glorieux qu’il fut, le passé ne nous confère aucun droit, c’est à nous d’abord de savoir si nous voulons exister encore, puisant en nous la force de nous ressaisir pour avancer sur une route que nous aurons choisie.
Avançant étape par étape, dans la vérité des hommes et la réalité des choses, sauvegardant l’essentiel des valeurs qui sont les nôtres.
Tel est le vrai défi pour les Français. Il leur faut réapprendre la France et avec elle retrouver l’espérance. Elle est sans doute un vieux pays, mais elle peut être à nouveau un pays d’avenir – à l’instar de ceux qui, en Asie par exemple, se sont réveillés d’un long assoupissement parce qu’ils ont cru de nouveau en eux-mêmes -.
Tous les Français peuvent être des bâtisseurs d’un futur commun. La France est, mieux que quiconque, porteuse des idéaux qui sont les leurs –pour peu qu’ils les aient encore-. Tous peuvent et doivent la faire revivre, elle vers qui, pendant des siècles, les hommes ont tourné leur regard.
Le monde change et la France définit sa politique extérieure par référence à un monde révolu (ou alors elle se borne à réagir à des évènements qu’elle n’avait pas anticipés).
Elle-même ne sait ce qu’elle est, ni d’ailleurs ce qu’elle peut. Elle invoque une exception française, non pas pour se situer à l’avant-garde du changement, mais pour tenter de sauvegarder, malgré celui-ci, des droits acquis au cours de la période précédente. Il y a peu encore, elle se distinguait par son intelligence des situations, la voici myope pour tout ce qui ne la touche pas personnellement. De sa fierté d’antan, il ne reste surtout que de l’arrogance. A défaut d’agir, elle excelle à porter des jugements. Elle redoute le déclin, son comportement ne fait qu’en accentuer le risque.
Non, la France ne doit pas être cela ! Elle peut demain assurer sa place et retrouver un rôle éminent et singulier. Elle le peut à condition d’arrêter de ressasser le passé, d’élargir son horizon en changeant de perspective, et de reconnaître un certain nombre de réalités.
Il n’y a pas de civilisation universelle. Seule l’est la reconnaissance de la dignité de l’Homme. Le monde n’est pas occidentalisable dans son entièreté. L’Occident n’en est plus le centre, il n’a plus de centre. Il s’est révélé pluriel. Des peuples qui se sont éveillés ou réveillés dans la contestation de l’imperium occidental, des puissances émergeant sur la scène mondiale, ont amplifié cette pluralité.
Certes, les échanges, la communication, l’information tendent à limer les différences entre les hommes. De ce point de vue, le monde se globalise. Mais il est également de plus en plus parcellisé. La mondialisation ne mène pas à l’uniformité, elle ne génère pas un ordre mondial ; au contraire, elle suscite et avive des sentiments et des réactions identitaires, et elle exacerbe les inégalités.
Tandis que ces mouvements contraires se développent, les sociétés humaines sont devenues plus complexes et plus inter-indépendantes. Il n’y a plus de paix véritable sans l’instauration ou la reconstitution d’espaces politiquement stables. La force, serait-elle militaire, n’y suffit plus. Encore quasiment indispensable pour résoudre les conflits, elle ne permet plus à elle seule de régler une situation.
La puissance ne se ramène donc plus à la force. Elle est devenue multiforme. En outre, elle est relative. Des pays peuvent être plus puissants que d’autres, mais il n’y a plus de superpuissance qui soit capable d’imposer sa loi à tous. Nul ne peut, à leur place, déterminer le destin de tous les autres.
Plus généralement encore, l’Homme, qui croyait pouvoir devenir omnipotent, éprouve comme un sentiment d’impuissance, face au nombre, à la taille, à la profusion, à l’hétérogénéité, à l’accélération, à la complexité d’un monde de plus en plus difficile à appréhender dans son entièreté. Il y a de moins en moins de situations dont Il ait la maîtrise.
Ce monde enfin est devenu d’autant plus instable que l’Etat, qui en était le pivot essentiel, est menacé par les crises que presque partout les sociétés connaissent. Il est de surcroît concurrencé par des pouvoirs qui n’ont pas d’autres finalités que leurs intérêts propres. Les zones sans véritable autorité étatique seront de plus en plus nombreuses.
Dans ce contexte général transformé, une nouvelle politique de la France peut et doit répondre à un certain nombre d’impératifs :
. regarder le monde en mutation continue sans nostalgie, ni utopie et sans esprit de système non plus ;
. savoir en faire la prospective.
Dans le cadre d’une prospective d’ensemble, envisager plusieurs hypothèses d’évolution, avec les problématiques correspondantes.
. recouvrer une intelligence des situations qui était l’une de ses singularités essentielles ;
. à tout moment, situer ses valeurs, définir ses intérêts, arrêter des objectifs et des projets à l’échelle de la Nation ;
. se garder des consensus mous, exploiter, créer, agencer des rapports ou des équilibres de forces ;
. coopérer avec toutes les parties du monde, adapter ses alliances aux formes nouvelles de ce dernier, en privilégiant dans chaque partie nos rapports avec un petit nombre de pays choisis à raison de ce qu’ils représentent et de leur capacité à servir de relais auprès de leurs voisins ;
. compléter les relations interétatiques par des coopérations économiques et culturelles au niveau des collectivités territoriales ;
. identifier des points d’appui et des pôles de stabilité dans un monde déstructuré ;
. renoncer à des équilibres globaux, incompatibles avec la pluralité des acteurs, à la complexité des situations, à leur caractère évolutif. L’ordre mondial fut sans doute un beau mythe, à présent il n’est plus qu’un leurre.
A défaut, rechercher des équilibres partiels, en favorisant notamment le groupement de pays aux mêmes valeurs, aux situations comparables et aux intérêts voisins.
. faute de solutions évidentes ou définitivement acquises, négocier sans cesse.
Le temps passant, la personnalité des acteurs et les données d’un problème peuvent évoluer et peut s’ouvrir alors la possibilité d’un règlement. Il n’y a plus de grandes constructions a priori qui vaillent.
Pour qu’une nouvelle politique lui permette de jouer encore un rôle et que ce rôle soit singulier, il faudra à la France, dans sa vocation au service de la paix :
. retrouver foi en elle-même ;
. respecter l’altérité des identités plurielles ;
. par un dialogue continu avec tous, qu’ils lui plaisent ou non, s’employer à être un lien, voire éventuellement un médiateur, entre les différentes composantes du monde.
Identité, altérité, solidarité. La tâche est immense, elle est difficile, mais elle est grande. Il n’en est sans doute pas d’autre pour assurer notre avenir, dans la sauvegarde de notre identité et la garantie de notre liberté, plus généralement pour substituer aux rêves du passé les espérances de l’avenir.
L’Europe était un grand rêve et elle a apporté la paix.
L’Europe était un grand dessein, elle n’est plus qu’un marché offert à tous les appétits
.
D’élargissement en élargissement, elle n’a plus de vision. La technocratie lui tient lieu de politique. Elle n’a plus de voix, elle n’a pas de défense, elle n’a plus de croissance. Son ambition désormais est d’exister seulement et non plus d’exister vraiment.
L’Europe devait porter la France aux dimensions nouvelles du monde. Aspirant à décider de presque tout, elle est devenue l’alibi commode de trop de ses renoncements. Elle devait l’agrandir, elle l’a émasculée.
L’Europe enlisée, une France paralysée, c’est un triste tandem.
Il faut sauver l’Europe pour retrouver la France.
Pour sauver l’Europe, il faut la refonder.
Avec l’Union européenne, les forces du marché devaient prévaloir sur celles des Etats. Eh bien, non, elles ne pourront ni abolir, ni remplacer celles-ci, tandis qu’après plus de cinquante ans d’expérience, il est clair que l’économie ne mènera pas à la politique. Il faut avoir l’honnêteté de le constater, il n’y a ni politique étrangère, ni défense communes. Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement avec 28 Etats membres ?
En économie, l’Union européenne doit se recentrer et se concentrer sur l’essentiel, sans plus jouer à toucher à tout, ni vouloir tout régir et tout réglementer. Il faut reconstituer un véritable marché commun, avec un tarif intérieur qui avait été prévu dans le Traité de Rome et ne plus être une sorte de zone de libre échange ouverte à tous les vents.
Elle doit s’adapter à une économie qui n’est plus celle des années 1950, notamment en privilégiant l’innovation, en développant une formation permanente, en renonçant à un libéralisme dogmatique obsolète et à l’interventionnisme qui l’accompagne.
Accepter de transformer l’euro, monnaie unique, en une monnaie commune, seule à même de correspondre à l’hétérogénéité des membres de la zone euro.
Rendre sa place au social et remettre la finance à la sienne.
Viser à l’émergence d’une véritable puissance économique européenne, à cet effet favoriser en particulier des rapprochements et coopérations entre entreprises européennes plutôt que de les pourchasser en fonction d’une conception étriquée de la concurrence.
Doter l’Union européenne de véritables organismes de conception et d’organisation, aux lieu et place de ses bureaux actuels aux approches et pratiques technocratiques.
En étroite liaison avec l’Union européenne ainsi amendée, mais dehors celle-ci, la France et l’Allemagne, ainsi qu’un très petit nombre de pays, peuvent, associés, constituer d’autre part une véritable force politique de portée générale.
Déjà à elles seules, la France et l’Allemagne, ont ensemble –malgré le déclin démographique allemand- près de 150 millions d’habitants, sensiblement plus que la Russie. Elles représentent de surcroît un savoir faire et une puissance, y compris culturelle, considérables.
Peu importe la forme finale de leur association –confédérale ou autre-. Il est vain de chercher à la définir a priori. Elle se dégagera pragmatiquement de coopérations et d’actions communes générant des espaces de solidarité de plus en plus vastes.
Pour aboutir, il faudra une volonté forte et persévérante. Il faudra aussi que l’Allemagne et la France surmontent leurs divergences. Leur réconciliation est une réussite exceptionnelle. Mais rien, entre elles, ne sera, avant longtemps, définitivement gagné. Leurs dirigeants actuels n’ont pas connu le passé, ils célèbrent l’amitié sans en mesurer vraiment le prix. Il n’y a plus de véritable vision, c’est le court terme qui prévaut, avec, ce qui, pour l’heure, peut séparer les deux pays. Le Chancelier Adenauer dénonça naguère le risque que ceux-ci « faute de s’entendre pour un large avenir, restent naturellement éloignés et voués par là à s’opposer pour leur malheur… ». Pour leur malheur certes, mais aussi pour celui de l’Europe entière. Sans l’Allemagne et la France réconciliées, il n’y aurait pas d’Europe en paix.
Une association franco-allemande ne saurait se faire contre les autres pays européens. Il faudra au contraire qu’elle développe les relations bilatérales avec ceux-ci. En particulier, que la Grande-Bretagne demeure ou non dans une Union européenne économique recentrée, il est de l’intérêt de la France qu’il y ait avec elle des relations diversifiées.
Aux confins de l’Europe, la Russie pose à celle-ci, et plus spécialement à la France et à l’Allemagne, un problème essentiel. Déçu par l’Union européenne en tant que telle, soumis à la pression, à l’Est, d’une Chine dix fois plus peuplée et, au Sud, à celle des islamistes, incompris des Etats Unis qui persistent à le considérer comme à l’époque de la guerre froide, Moscou, sauf à se trouver isolé, sera conduit à développer des relations bilatérales avec certains pays européens. L’Allemagne sera nécessairement l’un d’entre eux. A continuer de dénoncer sans mesure tout ce qui lui déplait dans l’actuelle Russie, la France s’exposera à se retrouver isolée, comme repoussée à l’Ouest de la péninsule européenne, tandis que dépérira son association avec l’Allemagne. Au contraire, recherchant activement une coopération renforcée avec Moscou, s’ajoutant à cette association, elle peut contribuer à la formation d’un axe Paris-Berlin-Moscou, point fort de la paix dans le monde.
Les Français passaient naguère pour ne pas connaître la géographie, c’est l’économie aujourd’hui qu’ils paraissent ignorer, ou alors ils la ramènent aux vains débats entre dirigisme et libéralisme, entre un Etat qui devrait tout faire et un marché qui pourrait tout résoudre.
La méconnaissance de réalités élémentaires a conduit dans le passé à un certain nombre d’erreurs, parfois douloureuses. S’y ajoute aujourd’hui l’infirmité de nombreux acteurs de l’économie, incapables d’anticiper dans un monde pourtant de plus en plus évolutif. Enfin certaines mutations s’annoncent, touchant des facteurs essentiels comme le travail, dont l’étude tarde à être entreprise.
Le Concorde fut une remarquable prouesse technique. Mais il a toujours été déficitaire. Aucun projet n’est viable s’il est plus onéreux à la fois dans son investissement et dans son exploitation. D’un point de vue économique, il eut fallu, plutôt que de repartir de rien, prolonger la ligne Caravelle, comme on le fit plus tard avec Airbus.
1957-début des années 80. La politique agricole commune était nécessaire et elle fut bénéfique pour l’agriculteur français. Vînt le moment où il eut été de notre intérêt de l’amender. On préféra la proroger, inchangée, permettant ainsi, par les avantages qu’elle procurait, le développement d’agricultures concurrentes en Grande-Bretagne et en Allemagne, qui disposent pourtant de conditions naturelles moins favorables que les nôtres.
1999. Une violente tempête abattit des millions d’arbres. On décida alors de former en masse des bûcherons, ce qui semble paradoxal puisque nombre d’arbres étaient déjà à terre…
2008. Avec la crise, les ventes d’automobiles baissent. On considère que ce n’est qu’une mauvaise passe et on institue une prime à la casse pour que les constructeurs puissent la franchir sans trop de dommage. Or la crise n’était pas passagère. Mais quand bien même elle l’aurait été, il était évident que le niveau des ventes se ressentirait tôt ou tard de leur « dopage » artificiel d’un moment, sauf à avoir mis à profit le répit ainsi obtenu pour préparer l’avenir.
A tant d’erreurs commises s’ajoute notre incapacité à demeurer des leaders dans des domaines comme, par exemple, l’espace ou l’aéronautique, où nous avions pourtant été les pionniers.
Plus grave encore, depuis quelques années, la France recule sur presque tous les marchés du monde, tandis que son industrie, qui fut grande, disparaît ou se délocalise et que faute de perspectives d’avenir beaucoup de jeunes ingénieurs s’expatrient sans nécessairement revenir plus tard en France.
Cette Bérézina ne s’explique pas seulement par des charges fiscales et sociales qui, pour élevées qu’elles soient – trop élevées sans doute -, ne sont pas les plus importantes en Europe. Il y a sans doute aussi les effets d’une bureaucratie pesante, d’une réglementation envahissante, d’une rigidité quasi générale face à un environnement changeant.
Mais la France souffre d’abord d’avoir perdu l’esprit d’entreprise. Certes, il existe encore, ici ou là, de véritables entrepreneurs. Mais ils sont une minorité. C’est la frilosité qui domine.
L’économie française n’est plus conquérante, elle est dans une perpétuelle défensive. Elle s’emploie à sauvegarder ses positions de naguère, à dire vrai, on voudrait que puisse se prolonger l’économie d’autrefois.
Tourné vers le passé, tout le monde ou presque –entrepreneurs, politiques, syndicalistes- n’anticipe plus. Il n’est guère question que de prévisions à très court terme, et jamais davantage, alors que le monde est en mutation continue.
Tout va être fait pour repousser les échéances douloureuses, rarement pour les prévenir. Si la crise survient –qu’on n’avait pas su ou pas voulu envisager-, on va s’attacher à prolonger le malade. C’est une course incessante entre un passé en sursis et un avenir sans plus d’espoir.
Combien de drames pourtant, sociaux notamment, auraient pu être évités si les transitions nécessaires avaient été organisées à temps. Transitions entre une impossible répétition de toutes les activités existantes et la mise en place, qui demande du temps, de nouvelles activités.
L’avenir sera fait largement de techniques et de façons de faire, de produits et de marchés inédits. La mondialisation économique n’est pas une punition, elle est un combat. Encore faut-il inventer, innover, investir, se porter sans cesse à l’avant-garde. Des pays émergents, comme ceux de l’Asie du Sud Est, ont su naguère le faire. La France, qui a au départ davantage d’atouts que ces « tigres asiatiques », est parfaitement capable d’accomplir cette révolution à condition de ne plus chercher l’avenir dans le rétroviseur.
Pour continuer d’avancer et se porter à l’avant garde, il ne suffira pas d’innover, il faudra toujours apprendre à anticiper par référence à la fois à des évolutions générales et à celles de chaque secteur d’activité, ceci dans l’enchevêtrement de logiques multiples et la confusion des objectifs.
L’Etat demeure indispensable à une gouvernance raisonnée de l’économie nationale, mais il n’a plus le même pouvoir qu’autrefois. Tout, d’autre part, est désormais trop complexe pour qu’un seul facteur – comme le marché - ou une seule motivation – par exemple la recherche du profit - puisse suffire à déterminer des choix. Une société internationale tend à s’instaurer, sans facteur, ni règle dominants, à partir de la circulation des hommes et des choses, du cognitif et du numérique. C’est un foisonnement de relations et d’inter-réactions sans ordre entre acteurs et facteurs multiples et différents.
Dans ce contexte d’interdépendance généralisé où prédomine désormais l’indétermination, il faudra sans cesse marquer sa place et tracer sa route. Mais toute action, en même temps, devra s’inscrire dans la durée.
Un processus à ces fins pourrait être le suivant :
. dans un champ donné, partir d’un état des lieux et de l’environnement, dressé en fonction d’une collecte exhaustive et impartiale d’éléments de toutes sortes et de leur hiérarchisation ;
. imaginer les évolutions possibles de la situation, avec leurs problématiques ;
. faire le choix de l’une d’entre elles jugée la plus probable (ou de la combinaison en une seule de plusieurs d’entre celles-ci) ;
. s’être fixé un objectif, qui ne peut plus être que composite ;
. dégager de la problématique choisie un scénario avec le chemin critique et les moyens pour atteindre l’objectif.
Des changements fondamentaux s’annoncent, dont les effets ne se font pas encore pleinement sentir sur l’économie et la société, mais qu’il faudrait sans trop tarder commencer à prendre en compte. Il en est ainsi notamment avec le travail.
Une croissance, dominée par la finance, a conduit à une aggravation des inégalités. On privilégie les besoins les plus rentables qui ne sont pas nécessairement les plus vitaux. La mondialisation crée de nouvelles dépendances, les évolutions techniques et la pression concurrentielle agissent peu à peu sur la nature du travail et sa place.
Depuis les années 1970, le chômage est considéré comme un avatar de la crise. Cela est vrai en partie, mais a occulté une évolution qui n’en est qu’à ses débuts. L’espace du travail devient variable en soi et dans sa temporalité. L’emploi est de moins en moins fixe. Pour un même individu, les formes de travail se diversifient. Il s’exerce simultanément dans des cercles différents.
Dès lors qu’il ne correspond plus à une activité professionnelle unique, à un métier, le travail ne suffit plus à marquer la place de cet individu dans la société. Ceci est susceptible de se faire au détriment de son équilibre personnel. Plus généralement, l’instabilité fondamentale résultant de l’évolution du travail amènera à penser en termes nouveaux la recherche de la paix sociale.
A la fois mythe et réalité, le bien commun est le fondement de la démocratie, il tend en France à ne plus être compris que comme la somme des intérêts particuliers. Or tout ensemble complexe comme l’est la société française a des caractéristiques et des évolutions qui ne sont pas celles de ses composantes.
Chacun revendique une place et un rôle dans la communauté nationale, mais c’est d’abord pour en retirer un avantage personnel. Chacun se réfère à l’intérêt général, mais prétend être traité comme un cas particulier. Face à un monde de plus en plus incertain, chacun demande à être protégé, mais en même temps aspire sans cesse à plus de liberté.
On invoque celle-ci à hauts cris. En fait de libre arbitre, il y a surtout une massification et une collectivisation des comportements. On se voudrait tout puissant, on ne décide plus rien. On ne sait plus même qui décide, on ne choisit rien vraiment –ce sont les évènements qui le font-. De responsabilité, il n’est plus guère question, ou alors c’est toujours celle d’autrui. Nul pourtant ne peut prétendre à sa dignité s’il renonce à sa propre responsabilité. En démocratie, accomplissement individuel ou accomplissement collectif doivent aller de pair. Un héritage dénaturé des Lumières et un développement économique dévoyé ont conduit à l’exacerbation de l’individualisme, dans le déni des solidarités. A la fois producteur, consommateur, travailleur, électeur, etc., l’individu s’égare entre ses différentes fonctions. Le temps n’est plus où une seule suffisait à le définir. D’autre part la mondialisation a creusé la fracture sociale. Avec la crise, c’est pour chacun le risque du déclassement social.
La nation ne transcende plus les Français dans leur diversité individuelle et la pluralité de leurs rôles. Un sens dégradé de la patrie ne donne plus à chacun une dimension supérieure au seul souci d’améliorer sa situation personnelle. Pour eux, elle est devenue davantage ce qui les différencie des autres nations, que ce qui les rassemble. Il n’existe pas de projet commun, il n’y a plus d’ambition partagée pour la France, l’idéal semble mort.
Chacun s’isole dans une société à la fois plus rigide et parcellisée, où l’échange informatique tend à se substituer à l’échange humain sans pouvoir le remplacer. Ce ne sont le plus souvent qu’ensembles fragmentés, groupements d’intérêts exclusifs, collaborations précaires à vocation limitée, ou encore des réseaux sans clair début, ni fin, ni finalité. Plus à l’échelle du monde, des dynamiques –comme la financière- que personne ne maîtrise plus vraiment.
Souvent comblés et toujours insatisfaits, nous avons perdu nos repères moraux, sociétaux, environnementaux. On parle de changement de civilisation là où nous aspirons surtout à repousser les limites de notre autonomie personnelle. Les notions naguère les plus évidentes ont perdu de leur sens. Le progrès cesse d’être perçu comme une marche vers un monde idéalisé, la recherche de la performance prime sur le service d’un idéal. L’autorité, dans son principe remise en cause, est reçue comme un abus de pouvoir. Les élites sont disqualifiées, déclassées, voire déchues, sans que des minorités agissantes prennent le relais au service du bien commun. D’autres minorités, obsédées d’elles-mêmes, s’enrichissent sans vergogne dans l’indifférence à la situation et au sort de l’immense majorité des autres Français, elles ne voient même plus ceux-ci.
Honneur ou patrie, ni l’un, ni l’autre, les Français ne parlent plus aux Français. La quotidienneté l’a emporté sur le futur. Les plus jeunes eux-mêmes ont peur de l’avenir et peur de leur place dans l’avenir.
Notre démocratie tend à devenir le régime de l’inégalité et de l’injustice : injustice de la Loi et de son application, injustice dans la répartition aberrante des ressources, injustice dans une fiscalité sans cesse amendée et toujours inéquitable, etc. Prenons garde qu’un jour ne vienne où la colère, chez d’aucuns aux lendemains sans espoir, ne les mènent à se lever contre cette démocratie pervertie.
Oui, le mal est profond, mais il n’y a pas de fatalité, il n’est pas incurable, si nous savons réagir à temps. La France n’est certes pas la seule à être prise dans le maelstrom général. Ce n’est pas une raison pour qu’elle ne veuille, ni ne puisse se ressaisir elle-même.
Quelle que soit la forme que revêtira ce ressaisissement, il ne sera pas durable s’il n’est pas étayé de l’action à la base de groupes, voire de communautés vivantes, naissant ou renaissant à l’échelle des villes, des entreprises ou plus modestement encore. Des groupes, des communautés dégageraient du magma actuel les idées simples de la vie, et le feraient dans la perspective d’une solidarité s’étendant peu à peu en réseaux jusqu’à la dimension de la Nation.
C’est d’un nouveau militantisme, contre une démocratie galvaudée, pour une démocratie renouvelée, qu’il devrait s’agir, partant de la réhabilitation ou de la reconnaissance d’un certain nombre de vérités élémentaires, car la solution est dans un comportement plus que dans un système.
Tous les hommes, dans une société, sont égaux en dignité, quels qu’ils soient, quoi qu’ils croient, où qu’ils soient.
Chaque homme a droit à un accomplissement personnel dans un destin collectif.
Aucune formule, aucun système ne peut apporter de solution immuable ou globale.
Nul ne peut vivre et agir hors de communautés qui prolongent son action personnelle.
Toute société est tôt ou tard condamnée qui refuse la solidarité et accepte l’injustice.
Chacun dans la société, dans la nation, doit avoir une place et un rôle.
Tout citoyen a le droit et le devoir de participer à la vie collective, il doit en consentir l’effort, il doit savoir pour quelle fin celui-ci lui est demandé.
Il n’y a pas de participation sans responsabilité.
La route sera sans doute longue avant qu’apparaissent des résultats tangibles. Elle sera parsemée d’obstacles, avec le risque constant d’un retour en arrière. Mais elle n’est pas aussi difficile qu’il puisse paraître s’il y a la résolution et la persévérance qu’elle requiert.
D’aucuns diront que tout cela est bien naïf. On demanda un jour à un résistant de la seconde guerre mondiale « comment les résistants avaient-ils pu faire ? ». « Avant toute chose », a-t-il répondu, « nous avons cru, nous avons voulu ».
En France, la démocratie n’est plus vivante. Il n’est de véritable démocratie que lorsque les citoyens ne se comportent pas comme des citoyens passifs et sont traités en adultes responsables, aptes à reconnaître la réalité des faits et à oeuvrer ensemble pour la faire évoluer. Mais aujourd’hui, on commente l’évènement avant qu’il ne survienne, on voudrait tout savoir, tout juger avant de pouvoir seulement connaître. Trop souvent, la politique est devenue un jeu de rôles. Il n’y a plus de vision, il n’y a pas d’ambition, il n’y a plus de projet.
Politiques et citoyens tendent à évoluer dans des mondes différents. Ils utilisent les mêmes mots, sans partager le même langage. Ils ne connaissent pas les mêmes réalités, ils n’ont pas les mêmes enjeux. Les premiers, prisonniers de leurs ébats, voient moins dans les seconds les hommes dans leur vérité que des électeurs avec leurs bulletins de vote. Tandis que ceux-ci attendent davantage de leurs élus une assistance pour résoudre leurs problèmes personnels que le service d’un intérêt général qu’ils ne perçoivent d’ailleurs plus guère. Pis encore, ils se considèrent souvent les uns comme corrompus, les autres comme infantiles.
S’ils communiquent encore entre eux, c’est de plus en plus à partir d’apparences. D’un côté, des sondages donnent une représentation de l’opinion publique instantanée, confondue avec les mouvements profonds de la souveraineté populaire ; de l’autre, des réseaux sociaux entretiennent l’illusion qu’il suffit de pouvoir s’exprimer pour savoir gouverner. Les médias contribuent au spectacle en jouant le rôle simplificateur et amplificateur du chœur antique.
La démocratie est un état d’esprit avant d’être des institutions. Pour qu’elle soit vivante, il faut l’effort de chacun. C’est le contraire qui aujourd’hui se passe. Elle est considérée comme un fait définitivement acquis alors qu’elle doit sans cesse être remise sur le métier. Après Athènes, Rome, les révolutions française et américaine, ce sont de nouvelles démocraties qu’il va falloir inventer. Mais dans un monde devenu pluriel, il ne saurait en exister un schéma type.
La complexité accrue de la société française, la multiplicité des sujets, la diversité des rôles de chacun, la mutation des relations sociales, obligent à rechercher des formes d’organisation à la fois nouvelles et évolutives.
Or, quoi qu’il puisse sembler avec les amendements incessants de la Constitution et de la Loi, les institutions françaises n’ont pas vraiment changé depuis longtemps. Aussi ne sont-elles plus tant en mesure de peser sur les évènements, tandis qu’elles apparaissent de plus en plus éloignées de l’existence même des citoyens.
Ceux-ci dès lors sont enclins à ne participer à la vie publique que par l’entremise d’entités diverses agissant sur les plans local, professionnel ou autres, qui soient à la portée de leurs perceptions immédiates et à la mesure de leurs possibilités directes.
Ce type d’actions pourrait enclencher un processus de dislocation. Mais, ré-irriguant le tissu social, il peut être au contraire à la source d’un enrichissement général. L’Etat, le pouvoir central, n’est plus à même d’être partout en charge de l’intérêt général dans une société de plus en plus complexe. Loin d’être antagonistes, les deux évolutions peuvent être heureusement complémentaires, à condition de bien circonscrire le champ d’action des uns et de l’autre, de savoir combiner l’existence d’entités autonomes avec celle de structures assurant la cohésion de l’ensemble et de favoriser une meilleure participation de tous à la vie publique dans son ensemble par des échanges de bas en haut et de haut en bas.
Gardien, acteur, moteur de l’intérêt général à l’échelle de la Nation, l’Etat doit s’abstenir de tout traiter et tout régir. Il incarne un projet commun. Il fournit un cadre. Il ne lui appartient pas de le remplir entièrement. Pour ce qui n’a pas à être accompli à son niveau, il doit aider, mais aider seulement, aux activités des entités autonomes, les coordonnant en tant que de besoin.
La multiplicité des sujets et leur complexité obligent à la décentralisation – notamment au niveau des collectivités territoriales -. Elle ne doit pas être la revanche des Girondins sur les Jacobins. Il s’agit de répartir les tâches en vue de la meilleure efficacité. Mais en politique comme dans tout autre domaine, il n’y a pas décentralisation qui vaille, sans un renforcement concomitant des moyens de direction et de contrôle de l’échelon central, ultime responsable de tout ce qui relève de l’intérêt commun. L’Etat, de surcroît, qui en est le responsable suprême, doit d’autant plus rester fort qu’il lui faut faire face à la fois à la concurrence de pouvoirs aux finalités particulières, et aux effets d’une interdépendance accrue avec l’étranger.
Depuis ces dernières décennies, de façon croissante, la France est en état de réforme ininterrompue, plus exactement de « réformette ».
La Constitution qui devait incarner la permanence est sans cesse modifiée, au fil de l’actualité.
Dès lois succèdent aux lois, sans que le plus souvent elles se rattachent à une vision d’ensemble du problème traité. On sacrifie à la mode, à l’opinion publique, quand ce n’est pas au seul intérêt de son électorat. S’il y a urgence, on improvise. De toute façon, les textes d’application tarderont le plus souvent à être promulgués. Qu’importe, à vrai dire, le verbe tiendra lieu d’action.
Pendant ce temps, la conscience du déclin se répand, insidieusement, comme une fatalité, sans même susciter de révolte –sauf, ici ou là, lorsque sa situation personnelle se trouve mise en cause.
La France a connu dans le passé, d’autres époques d’abandon. La situation est aujourd’hui d’autant plus difficile qu’à ses propres problèmes s’ajoutent ceux d’un monde sans ordre et sans foi. Mais enfin, on ne va pas capituler comme en 40 !
Entre un funeste abandon et une révolution dévastatrice, il y a la possibilité de réformes véritables.
Un nouveau Comité Rueff-Armand devrait, comme cela se fit il y a cinquante ans, procéder à l’inventaire des réformes nécessaires.
Aucun domaine ne devrait être esquivé, ni ménagé. Deux secteurs appelleraient une attention particulière : la fiscalité et la protection sociale.
A force de couches successives, notre système fiscal est devenu fondamentalement injuste, inefficace et vulnérable. Il faudrait presque pouvoir le mettre à bas afin d’ensuite le remplacer par un ensemble autrement plus simple et plus cohérent.
Quant à la protection sociale, elle n’a jamais été repensée depuis 1945. Or les données ne sont plus les mêmes qu’alors. Le niveau de vie des Français s’est transformé, leurs aspirations également, tandis que les prestations se multiplient, avec un coût croissant. Il faut réfléchir à de nouveaux équilibres. Pour sauver l’essentiel, des choix seront à faire en sachant reconnaître que la solidarité ne doit pas être confondue avec l’assistanat et que l’équité n’est pas l’uniformité.
En démocratie, la Loi est censée exprimer la volonté générale. Mais en France, parodiant Rochefort, on pourrait dire qu’il y a 65 millions de sujets de réglementation, chaque Français ou presque souhaitant que soit traité son cas personnel. Comme d’autre part, on n’abroge presque jamais de textes, mais qu’on leur ajoute souvent, on aboutit à un fatras de lois, décrets, règlements et circulaires.
En démocratie, nul n’est censé ignorer la Loi. Mais il y a tant de textes qu’il est impossible à quiconque de les connaître tous. Les connaîtrait-on, ils sont trop nombreux pour pouvoir être tous applicables.
Au demeurant, pour les appliquer, il faudrait qu’on puisse toujours les comprendre. Or le langage employé est souvent abscons, fait davantage par et pour des spécialistes qu’à la portée du public auquel ils s’adressent.
La Loi n’est donc pas une référence simple et claire accessible à tous. Elle prête à des interprétations diverses qui sont fonction souvent des circonstances, ou bien de l’identité, des intérêts, des opinions de ceux qui vont avoir à l’appliquer. Dans ces conditions, elle ne saurait être la même pour tous, elle ne peut pas être juste.
L’affaire se complique avec l’Union européenne et la place prise dans notre législation, par ses décisions et les arrêts de la Cour européenne de justice. S’il est vrai que la Loi doit exprimer la volonté générale, on ne peut plus savoir très bien de quelle volonté il s’agit.
La question de la Loi n’est pas une question mineure. Le bon fonctionnement de la démocratie exige que celle-ci puisse être comprise, reconnue légitime, et acceptée par tous. Tel est de moins en moins le cas.
Il est vain d’espérer que l’on puisse tout mettre à bas et tout réécrire, il y faudrait une révolution (tant il est vrai qu’en France il faut souvent celle-ci pour faire vraiment avancer les choses).
Alors, faute de mieux, il serait du moins possible d’être plus sélectif et plus lisible dans l’élaboration des textes à venir. Cela même est peut-être un objectif trop ambitieux. Sans doute pourrait-on, en tout cas, envisager que périodiquement, par exemple tous les dix ans, un inventaire soit fait, pour les supprimer, des textes inappliqués, inappropriés ou devenus obsolètes.
La simplification et la classification de la Loi, non seulement amélioreraient l’existence des Français, mais en outre elles les aideraient à prendre mieux conscience de l’intérêt général qu’elle est censée servir.
Trop régir par la Loi déresponsabilise le citoyen.
Les Français n’aiment pas l’Etat, mais ils ne cessent de faire appel à lui. Citoyens, ils en attendent beaucoup, contribuables, ils trouvent qu’il leur demande trop.
Pour eux, l’Etat est d’abord l’administration. Il y a trop de fonctionnaires, mais pour ce qui les concerne directement, il n’y en a toujours pas assez.
L’administration est sans cesse critiquée, mais les Français en même temps en sont fiers quand ils la comparent à celles de l’étranger. Au reste, ils savent bien que c’est l’Etat qui a maintenu le pays malgré les turbulences et les changements considérables qu’il a connus.
Mais il est de fait que, depuis quelques décennies, l’administration française a perdu de la qualité qui était la sienne. Ceci tient, d’une part, à ce qu’au nom d’un libéralisme idéologique, on n’a eu de cesse de critiquer et de rabaisser l’Etat, ce qui ne contribue pas à y attirer et à y conserver les meilleurs éléments ; d’autre part, à sa difficulté à s’adapter à un monde devenu continûment changeant.
Certes, on rencontre encore, plus qu’on ne le croit généralement, beaucoup de talents et de compétences, ainsi qu’un grand dévouement à l’intérêt général. Pour bon nombre de ses agents, le service d’Etat conserve toute sa signification.
Mais au fur et à mesure qu’ils voyaient l’administration perdre de son pouvoir, beaucoup de fonctionnaires ont préféré passer à la politique.
L’administration elle-même s’est politisée. Traditionnellement, les fonctionnaires étaient au service de l’Etat et du gouvernement, quelles que fussent leurs convictions ou leurs appartenances personnelles. Durant la période récente, beaucoup de postes dans l’administration, ainsi que dans des organisations de la mouvance de l’Etat (notamment dans l’économie et la communication) ont été pourvus en fonction d’opinions politiques et non plus tant de compétences.
Contribue également à cette politisation, la pratique sous la Ve République de Cabinets du Ministre, qui, au lieu de se borner à leur rôle d’auxiliaires de ce dernier, prétendent illégitimement exercer sur les services leur propre autorité.
Pour les fonctionnaires, qui ne sont pas passés à la politique, le discrédit de l’Etat en général, ainsi qu’une différence de rémunération de plus en plus voyante entre secteur public et secteur privé, constituent de fortes invites au « pantouflage ». Ce dernier n’a cessé de se développer et ceci à un âge où jamais naguère il n’aurait pas été imaginable.
Le monde ne cesse de changer, l’administration ne parvient guère à le faire. Technocrates et bureaucrates ont encore trop de place. Trop de fonctionnaires prétendent tout savoir en ayant fort peu vécu. Sans doute est-elle plus accessible qu’auparavant, mais elle reste imprégnée de certitudes. L’administration reste à l’écart de la vie réelle, elle ne participe pas à la vie collective. Elle devrait stimuler celle-ci, elle continue de s’en abstraire. Il lui faudrait savoir faire confiance, elle répugne à déléguer. Par peur de la critique, elle préfère le secret. Elle veut sincèrement servir, mais tarde à voir l’homme derrière l’administré.
Qui veut réformer l’administration se heurte aux habitudes prises, aux positions acquises ou plus simplement à la peur du changement. Sous prétexte d’introduire de nouvelles méthodes, l’administration fait de plus en plus appel à des cabinets extérieurs de consultants. Outre que ceux-ci n’ont pas de légitimité pour se substituer à elle, ils n’ont souvent d’autres connaissances que techniciennes, voire livresques, et ils ignorent à peu près tout de ce qu’est le service public.
La question n’est pas seulement de constituer un instrument rénové de gestion. Certes, cela est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. Il faut d’abord en revenir aux racines du mal. Redéfinir les responsabilités de l’Etat et de l’administration. Les mettre en mesure d’évoluer quand la société se transforme. Réhabiliter le service de l’Etat. Faire prévaloir un nouvel esprit de service public. Restaurer sa grandeur sans pour autant nier ses servitudes.
Il faut que les fonctionnaires apprennent à sortir de leurs bureaux pour aller à une meilleure écoute et à une meilleure saisie de la réalité, à viser à la performance dans l’accomplissement de leur tâche autant qu’à la sécurité dans le déroulement de leur carrière.
Il faut que ceux qui dirigent l’Etat réapprennent à faire confiance à ceux qui le servent, sans plus chercher à les enrôler à des fins partisanes, et rendent à chacun, a quelque niveau qu’il soit, le sens de l’utilité de son travail au service de l’intérêt général.
Moderniser l’administration ne serait pas si difficile. Cela demanderait seulement un peu de courage et beaucoup de volonté politique.
Bien fou serait le voyageur qui jetterait son guide quand la route deviendrait plus incertaine. C’est bien pourtant ce que la France a fait, dans les années 1970, en renonçant au Plan alors que le monde devenait plus indéterminé.
Près de 40 ans plus tard, face à une complexité accrue, la question d’un Plan se pose plus que jamais. Mais c’est d’un Plan différent qu’il devra s’agir. Les temps ont changé, l’économie s’est internationalisée, les acteurs et les facteurs sont de plus en plus nombreux. Il conviendra non pas tant de faire des prévisions à court et moyen termes, que de se livrer à un véritable travail de prospective. Le Plan repensé doit permettre d’éclairer l’action de l’Etat et des autres acteurs de l’économie dans un monde en mutation.
Le Plan devra être à la fois thématique, sectoriel et synthétique. Il aura à considérer les évolutions possibles à de plus lointaines échéances. Se gardant de trop faciles extrapolations, il devra prendre en compte des hypothèses de rupture éventuelle. Il aura à esquisser différentes pistes sans nécessairement avoir à les chiffrer.
Certaines pratiques en vigueur avec l’ancien Plan demeureront toutefois valables pour le nouveau. Il était le produit d’échanges entre chefs d’entreprises, syndicalistes, fonctionnaires. Pas davantage que son devancier, le nouveau Plan ne devra être un travail à quelques uns dans le silence de cabinets ministériels. Il sera élaboré à partir de rencontres entre toutes les forces économiques et sociales, nationales et régionales, et constituera à ce titre un élément de transparence, une référence commune et un instrument efficace de participation à la vie collective.
Il ne saurait être un document académique. Il vise à éclairer l’action de tous les acteurs de l’économie, chacun dans sa responsabilité. Il ne pourra jouer pleinement son rôle que si l’Etat d’abord y conforme sa propre politique et, pour aider à son service, dispose de moyens législatifs et aussi de quelques leviers.
La Caisse des Dépôts et Consignations et la nouvelle Banque d’Investissement constituent déjà de ces leviers. Dans leur systématisation, les privatisations des années 1990 en ont compromis d’autres. Certes, l’aéronautique, avec Air France, par exemple, pouvait sans inconvénient être privatisée. En revanche, des secteurs comme l’énergie, voire certains transports, ne peuvent être abandonnés par l’Etat sans qu’il se prive, ce faisant, de possibilités d’action dans l’intérêt économique général.
Il se peut aussi qu’il doive s’engager directement dans d’autres secteurs pour aider à l’avenir, nous sommes à présent dans une situation un peu comparable à celle qui prévalait au lendemain de la guerre, quand il fallut repenser, refonder et relancer l’économie française dans un monde transformé.
Libéralisme ou étatisme, la question n’est pas là. Ce qu’il faut, c’est donner à l’Etat les moyens d’assumer efficacement ses responsabilités.
Efficacement, ce devrait être également gérer au moins aussi bien que le secteur privé puisqu’il s’agit de l’intérêt général.
Il existe en France un certain nombre de forteresses, en particulier l’éducation nationale, la magistrature et les syndicats.
Leurs membres ont en commun une fâcheuse tendance à confondre avec l’intérêt général les façons qu’ils ont de concevoir le service dont ils ont la charge. Non pas qu’ils ne soient pas désintéressés, c’est même là une de leurs caractéristiques. Mais le sentiment élevé qu’ils ont de leur mission les amène souvent à ne voir d’autre horizon de celui de leur profession. Toute critique est alors presque perçue comme iconoclaste. Ce qu’il faut bien appeler leur corporatisme est un élément de rigidité de la société française alors qu’ils pourraient tant aider au contraire à la faire évoluer, s’ils voulaient bien eux-mêmes sortir de leurs a priori.
Il est juste de dire que la position des uns et des autres n’est guère aisée. Enseignants et magistrats souffrent d’avoir perdu beaucoup de leur prestige d’antan. Pauvres, ils l’étaient déjà, mais ils étaient alors considérés, or ils constatent qu’ils ne le sont plus autant, tandis que pourtant leur tâche est devenue plus malaisée.
Bien que d’une autre façon, les syndicats sont également en situation difficile. Aucune bonne gestion sociale n’est possible, du moins dans une entreprise d’une certaine taille, sans présence de syndicats, mais ceux-ci ne sauraient avoir le monopole des relations sociales. Ils sont censés être représentatifs, mais leurs représentants sont élus par un électorat fâcheusement réduit. La « base » –qui peine souvent à voir plus loin que son site d’activité- leur reproche de ne pas en faire plus, tandis que les employeurs leur font grief de demander toujours trop. Sans influence véritable sur la marche de l’entreprise, ils sont enclins à se limiter à la revendication, en essayant toutefois de ne pas être entraînés trop loin, à moins qu’ils ne s’enferment dans des postures idéologiques.
La société française ne pourra vraiment évoluer que si magistrats, enseignants, syndicats, quittant leurs forteresses respectives, se convainquent pouvoir être des artisans du changement, et cessent de se considérer comme des victimes. Les uns et les autres en ont le potentiel. Puissent-ils enfin le comprendre plutôt que d’être toujours à se défendre.
1. L’entreprise
L’entreprise a un rôle économique et un rôle social, non seulement vis-à-vis des hommes qu’elle rassemble, mais à l’égard aussi de la collectivité nationale dont elle ressort.
Pendant longtemps, ce rôle avait été méconnu, ou alors il avait revêtu une forme paternaliste. Dans les années 70, il sembla que les choses changeaient, on parlait d’entreprise citoyenne, et aussi d’innovation sociale, voire de participation. Mais ceci ne dura guère : chez les employeurs, le souci de la concurrence l’emporta sur celui du personnel, tandis que les organisations syndicales n’appréciaient guère l’innovation sociale en ce qu’elle pouvait contrarier leur préférence pour le « centralisme démocratique ».
Néanmoins dans les années 80, l’entreprise restait comme un centre privilégié de la vie économique et sociale. Lutte de classes ou pas, elle constituait un lieu de relations humaines. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Elle apparaît surtout comme le terrain d’intérêts antagonistes.
Chefs d’entreprise, salariés, actionnaires n’ont plus de véritables rapports. Pour les dirigeants, le personnel est perçu d’abord comme une charge. Lui-même ne se sent plus considéré que comme une variable d’ajustement, il cesse d’être attaché à l’entreprise, sa seule préoccupation est celle de son emploi. Quant à l’actionnaire, il s’intéresse non plus à l’entreprise en tant que telle, mais au seul cours de son action. Il est prêt à céder celle-ci à la première alerte ou alors il attend une OPA pour réaliser son bénéfice.
La mondialisation et l’internationalisation de l’actionnariat ont profondément modifié le contexte de l’entreprise. Par ses propres problèmes, aggravés par la crise, elle est devenue la source d’une instabilité plus générale.
A l’étranger aussi, il existe des problèmes comparables. Mais le plus souvent, en Europe, aux Etats-Unis et plus encore dans les pays émergents, l’antagonisme social peut être atténué par le sentiment d’un intérêt national dominant. Une société américaine est toujours américaine, une société hollandaise est toujours hollandaise, etc. Il n’en est plus ainsi en France, où même, trop souvent, il est absurdement de bon ton de paraître avant tout « international », voire apatride.
A la fois pour la paix sociale et pour l’efficacité économique de l’entreprise, il est grand temps de repenser celle-ci dans ses différents aspects, notamment la place et le rôle de ses composantes, les relations entre elles et les rapports avec la société en général. La réforme de l’entreprise est un thème récurrent. Mais elle n’aura de sens que si elle vise d’abord à restaurer un minimum de communauté d’intérêts entre ses composantes. Cela ne sera pas facile tant celles-ci évoluent à présent comme dans des mondes qui s’ignorent, voire qui sont hostiles.
Avant même de grandes dispositions législatives de caractère général, la réforme de l’entreprise pourrait commencer par de simples mesures de bon sens, susceptibles d’atténuer les ségrégations actuelles.
Ainsi, au niveau de l’atelier, comme l’expérience en a été faite naguère dans certaines entreprises, des conseils consultatifs, instances de concertation réunissant tous les salariés, seraient chargés de formuler des suggestions sur l’organisation du travail et les progrès susceptibles d’être faits.
Au niveau de l’entreprise –comme à celui de l’atelier-, l’information des salariés par l’entremise des Comités d’entreprise est actuellement insuffisante. Il est profondément choquant que faute d’une information donnée à l’avance, des salariés ne découvrent l’état réel de l’entreprise qu’au moment des plans sociaux. Il serait légitime qu’ils soient complètement et continûment informés des perspectives et de la stratégie de l’entreprise, de ses problèmes actuels ou prévisibles. Sans interférer avec la responsabilité ultime des dirigeants de prendre les décisions nécessaires, ils devraient pouvoir à temps débattre et formuler des avis. Il ne servira à rien qu’ils soient membres à part entière du Conseil d’Administration s’ils sont réduits à n’y être que de simples spectateurs.
Enfin, il semblerait équitable que les salariés d’une entreprise perçoivent, en plus de leur salaire, une prime variant avec les résultats de l’entreprise, dès lors que ceux-ci permettent d’augmenter le dividende distribué au-delà d’un certain seuil.
2. La famille
La famille offre une image paradoxale.
Pendant des siècles, elle avait des règles quasi immuables dans son fonctionnement interne et ses relations avec la société. Elle était à ce titre un pôle de stabilité.
Aujourd’hui, elle se décompose, et se recompose (ou pas), mais elle représente un refuge face à l’incertitude. Si chacun revendique sa liberté, il ne souhaite pas rompre toutes les amarres.
Même changée, la famille conserve donc une place éminente dans la société. Mais c’est une famille en formation réduite. D’autre part, si ce qu’on appelle les valeurs familiales y conserve beaucoup de place, c’est une place essentiellement affective, et les rôles de chacun sont devenus largement interchangeables. La famille enfin a perdu beaucoup de son aspect patrimonial et avec lui de sa vocation héréditaire. On se préoccupe seulement de « l’avenir des enfants » dans ces temps troublés.
La famille reste donc une cellule vivante. Mais elle est surtout et fâcheusement égocentrique, sans qu’on puisse aujourd’hui prévoir ce qui en résultera pour sa place dans la société en général.
L’information est un devoir de chacun vis-à-vis d’autrui. Elle est à la base de sa participation à la vie collective.
Elle est également un pouvoir pour ceux que la détiennent – et qui de ce fait pourront être tentés de la conserver pour eux-mêmes -.
Elle ne peut pas toujours pleinement rendre compte d’un sujet tant celui-ci est susceptible de comporter des aspects divers, et, de surcroît, elle ne sera objective que pour autant qu’elle ne sera pas altérée par l’idéologie, les préférences personnelles ou l’intérêt matériel de celui qui la prodigue.
Le nombre des informations croissant de façon exponentielle, leur hétérogénéité, la rapidité avec laquelle elles se succèdent, la confusion qui résulte de cette profusion, rendent de plus en plus difficile d’en faire un bon usage et d’abord de pouvoir toujours les trier à bon escient et les hiérarchiser comme il le faudrait.
Beaucoup d’informations sont trop générales, ou concernent des sujets trop lointains, pour pouvoir être saisies autrement qu’en instantané et de façon fugace. L’image peut laisser une empreinte, mais sans que la réflexion suive. Au contraire, certaines informations ont trait à des questions qui nous paraissent tellement proches que nous sommes enclins à douter de leur véracité si elles ne correspondent pas aux idées que nous avions a priori.
Etre informateur est donc une tâche difficile. Mais, en outre, elle revêt souvent en France une connotation particulière.
Cela correspond en partie à l’esprit critique des Français. Le crédit qu’ils accordent à une information dépend largement de l’identité de celui qui la donne. Or ils croient plus volontiers en la parole d’un quidam ou d’un franc-tireur, qu’à celle d’une institution officielle ou d’un expert notoire.
Mais la situation spéciale de l’information en France tient surtout aux professionnels de l’information eux-mêmes.
Il en reste heureusement de tout-à-fait remarquables, accomplissant leur métier avec rigueur et ne traitant que des sujets qu’ils ont su approfondir. Ce qui suit ne saurait donc les concerner.
Les autres forment entre eux une sorte de caste dominée à la fois par l’argent et par la vanité. Leur rôle d’informateur leur donnerait une position supérieure par rapport au reste de la population. Avec eux, la liberté d’information devient surtout celle des informateurs. A dire vrai, plus déformateurs qu’informateurs, ils entendent choisir souverainement ce qui doit être dit et la façon orientée de le faire. De toutes choses, ils se complaisent à développer l’aspect négatif. Leur assurance est souvent à la mesure de leur incompétence. Plutôt que d’approfondir un sujet, ils préfèrent le traiter en jouant de l’émotivité et de la compassion du public au lieu de donner à celui-ci des éléments qui lui permettent de se former un jugement. Les moyens techniques puissants dont ils disposent devraient leur permettre d’éclairer le public et d’élever sa capacité de jugement. Au contraire, ils s’en servent comme d’un pouvoir de manipulation en jouant des ressorts les plus médiocres de l’opinion publique.
L’information est un fondement de la démocratie au XXIe siècle. Mais ses dérives, l’usage que d’aucuns en font, sont une menace pour celle-ci. Ils constituent en outre une atteinte à la dignité même des vrais informateurs.
S’il importe que les professionnels de l’information soient protégés par la Loi et par la justice dans l’exercice de leurs fonctions, ils ont aussi à se protéger d’eux-mêmes, en veillant à satisfaire aux exigences de conscience et d’éthique de leur métier. Le mieux semblerait être à cet égard qu’ils définissent eux-mêmes, dans une charte, des règles de déontologie. On en parle souvent, mais rien, jusqu’à présent, ne se fait.
Les réseaux sociaux créent des situations nouvelles, dans lesquelles il sera bien difficile de distinguer le bon grain de l’ivraie. Leurs avantages admirables sont considérables, les risques qu’ils comportent ne le sont pas moins.
Ils permettent à chacun de donner sur tout des informations, exactes ou non, et d’exprimer une opinion personnelle, mais c’est à charge pour ceux qui les reçoivent d’être seuls juges du crédit à leur accorder et de l’usage à en faire.
Par la liberté d’expression, d’échanges et de rencontres qu’ils autorisent, ils servent la liberté individuelle. Mais celle-ci est de proche en proche enrégimentée dans des « des communautés d’amis » sans finalité claire.
Ils peuvent être utilisés, de façon ponctuelle, pour mobiliser des foules, mais ceci à partir d’éléments, véridiques ou pas, en tout cas le plus souvent invérifiables.
D’une source unique peuvent être adressés, à des milliers, voire des millions de destinataires, éventuellement sur une longue période, des messages aboutissant à une véritable manipulation de l’opinion publique à grande échelle.
Enfin, tous nos mouvements, tous nos échanges peuvent être pistés et enregistrés à des fins que nous ne contrôlons pas.
Il n’y a guère, semble-t-il, de moyens pleinement efficaces de prévenir les abus. Eu égard à l’extrême variété des « informateurs », on voit mal comment ils pourraient souscrire à une charte commune. D’autre part, non seulement il est techniquement difficile de restreindre l’utilisation ou le fonctionnement des réseaux, mais le faire serait en général perçu comme une entrave à la liberté d’expression.
Hormis des mesures exagérément restrictives prises dans quelques pays, ce n’est qu’au niveau judiciaire que l’on sait agir aujourd’hui, soit à l’encontre des sites WEB, soit contre l’auteur identifiable d’informations dommageables. Mais tôt ou tard il faudra en venir sans doute à des arrangements internationaux, qui définissent une référence juridique commune. La France pourrait œuvrer utilement en ce sens.
Une japonaise très amie de la France dit un jour : « La France était, jusqu’au début des années 70, le grand leader mondial de la culture, hélas, depuis lors, ce n’est plus du tout le cas ».
Le jugement est sévère, mais il paraît fondé.
La situation est paradoxale. D’un côté, la culture n’est plus réservée à une minorité. On assiste depuis 40 ans et plus à son exceptionnelle popularisation, de multiples façons, depuis les Maisons de la Culture jusqu’aux files d’attente pour des expositions de peinture.
D’un autre côté, alors que cette ferveur populaire nouvelle aurait dû être un stimulant pour la culture, cette dernière au contraire s’est largement tarie. Il y a certes encore de grands peintres, musiciens, metteurs en scène, réalisateurs, architectes, mais ils sont peu nombreux. La majorité des « culturels » est mue surtout par l’idéologie ou par l’argent, ainsi que la recherche du vedettariat. Se prétendant proches du peuple, ils ne le connaissent pas. Ils forment une catégorie à part, dont les œuvres échappent souvent à la sensibilité de la masse des individus. Faute de créativité, ils prônent la nouveauté pour la nouveauté et ils cherchent l’originalité à tout prix.
Avec eux, la culture n’est plus chose vivante. Elle est comme imposée par un milieu. Celui-ci devrait dicter aux Français ce qu’ils devraient aimer, au lieu de rechercher, auprès d’eux notamment, la source d’une inspiration renouvelée.
Or, en matière culturelle, l’élite véritable n’est pas celle qui sait, mais celle qui cherche à pénétrer le monde extérieur. Et à le faire à la rencontre de chaque homme, à qui elle doit procurer un enrichissement personnel en même temps qu’elle donne une autre dimension à son ouverture.
Oui, à coup sûr, il existe encore en France d’authentiques créateurs, plus sans doute qu’on ne le croit. Mais après Malraux, Guy, Lang, le Ministère de la Culture a cessé d’être moteur. Il gère des crédits –au demeurant en diminution constante- et il remet des décorations. A lui de réagir. Puisse-t-il, se reprenant, aider à une nouvelle renaissance.
Il n’est pas possible de parler de culture, sans traiter de la langue française, qui en est l’un des éléments majeurs.
Elle caractérise notre identité. Par sa rigueur et sa précision, elle est un instrument exceptionnel de formation et d’expression de la pensée humaine, ainsi que de communication, d’échange et de compréhension.
Qu’importe ! Il serait de bon ton aujourd’hui de la déflorer, voire de l’abandonner.
Il y a ceux, et ils sont nombreux, qui ne savent plus le parler correctement, ou qui, pour paraître à la mode, l’émaillent de locutions étrangères sans d’ailleurs toujours bien en connaître eux-mêmes le sens.
Il y a ceux qui, sous prétexte de mondialisation, pensent qu’il faut renoncer au français pour ne s’exprimer qu’en langue étrangère, comme si apprendre l’anglais par exemple obligerait à ignorer sa propre langue.
Tout ceci est stupide, mais pour y remédier, il faudrait qu’au moins les politiques, de quelque côté qu’ils soient, en aient la préoccupation. Tel n’est pas le cas. Attention, il y a pourtant urgence à réagir.
L’écologie connaît en France une situation très particulière.
Il y a des écologistes, ou plutôt ceux qui disent l’être. Plutôt que d’identifier les véritables problèmes, les analyser objectivement, et contribuer à la recherche de solutions, ils sont a priori contre tout. Le progrès en particulier est toujours pour eux source de danger, et il en va de même de toute activité productive ou presque. D’une certaine façon, ils sont en quelque sorte les salafistes du culte de la nature, ou, si l’on préfère, Bernardin de St Pierre devrait être leur Dieu.
Le poids électoral des écologistes est très faible, les récentes élections présidentielles l’ont de nouveau prouvé. En revanche, leur poids politique est significatif. Ils peuvent en effet représenter, pour les partis politiques classiques, une force d’appoint qui, comme telle, prend une importance disproportionnée par rapport à ce qu’ils sont en réalité. Aussi, plus intéressés par les écologistes que par l’écologie, les politiques ne portent guère à celle-ci l’attention véritable qu’elle mériterait.
Quant à l’opinion publique, on cherche à la mobiliser par la peur plutôt que par une information objective.
Il est juste de dire qu’il y a aussi les négationnistes de l’écologie, par principe ou aveuglement, voire seulement parce que l’écologie les dérange dans leurs intérêts et leurs projets, et qu’elle peut générer des charges nouvelles.
Le problème de l’environnement est un problème grave. Il mérite mieux que les vociférations de tant de ceux qui prétendent s’en saisir. Il serait temps de cesser de le traiter en fonction de considération idéologique ou politicienne. La France a toute la capacité d’analyse objective et de savoir scientifique pour ce faire. Il reste à savoir si elle en aura la volonté.
Depuis la fin de la guerre froide, les données de la défense se sont profondément modifiées. La Défense française, qui avait déjà vécu et/ou réalisé, depuis 50 ans, plusieurs transformations majeures – en particulier une profonde mutation après la guerre d’Algérie -, doit s’adapter à présent à ces nouvelles données à une époque de fortes contraintes budgétaires.
Il existe de plus en plus de nouveaux acteurs à côté des Etats, ainsi qu’une diversification générale des menaces, comme, par exemple, avec le terrorisme et une criminalité croissante. Il y a désormais un certain continuum entre la sécurité et la défense, chacune conservant toutefois une part de spécificité. La diversité des menaces, y compris géographiques, entraîne celle des formes de conflits et de leurs dynamiques, dont la pluralité oblige à une multiplicité de scénarios.
On assiste dans le même temps à la diffusion des techniques et des armements, à un nombre croissant de protagonistes, ainsi qu’à l’émergence de technologies entièrement nouvelles, sources pour certaines d’entre elles telles les cyber-techniques de menaces et d’espaces de conflits inédits.
D’autre part – on l’a dit -, la puissance n’est plus ce qu’elle était. Un conflit ne se règle plus par l’annihilation de l’adversaire. La force militaire, pour indispensable qu’elle demeure, ne suffit plus à restaurer la paix qui dépendra de l’instauration ou la restauration d’un équilibre politique stable.
Enfin, les opinions publiques ont un rôle plus actif qu’auparavant, qu’il s’agisse de celle d’un pays comme la France vis-à-vis de la Défense en général, ou de son engagement dans un conflit, ou de celle des pays où se déroule une opération.
Une politique de défense susceptible de répondre à toutes les formes potentielles de conflits, est d’autant plus inimaginable que toutes ces formes ne sont pas prévisibles. En outre son coût serait prohibitif. Une politique étrangère mondiale, comme celle nécessaire à la France, ne peut donc avoir pour corollaire une politique de défense omnipotente. Cette politique exige en revanche d’être multiforme, associant force et « soft power » [2].
En ce qui concerne plus spécialement la force, elle doit reposer sur une information permanente, à court terme, mais aussi à long terme, obligeant de ce fait à une prospective continue.
Elle doit être plus sélective, tout en sauvegardant les cohérences indispensables entre ses différentes composantes. A cet égard :
1. L’arme nucléaire reste indispensable dans la majorité des cas, bien qu’elle ne soit plus une arme absolue, en particulier face à des acteurs ignorant le langage de la dissuasion. Mais il convient sans a priori d’examiner dans quelle mesure, les contraintes financières étant ce qu’elles sont, son budget pourrait être quelque peu réduit sans remettre en cause en aucune façon son efficacité actuelle et future.
2. Les forces armées demeurent également indispensables. Mais la nature envisageable des conflits à venir conduira à faire de plus en plus appel, à côté de ces forces, à des matériels dont certains très sophistiqués.
3. La sélectivité des matériels hors nucléaire implique de distinguer entre ce qui est polyvalent et ce qui correspondant à des usages spécifiques, et d’autre part d’identifier ce dont nous devons souverainement disposer.
4. L’évolution rapide des technologies susceptibles de concerner la défense exige un effort de recherche significatif et continu.
Une fois encore la Défense va devoir changer. Elle va devoir le faire avec beaucoup moins de possibilités financières que lors de ses transformations précédentes. Ou bien les décisions seront prises comme « à la petite semaine » ; ou bien elles s’inscriront dans la vision à long terme d’une défense nouvelle pour un monde nouveau. De ce choix essentiel dépend son avenir et le nôtre. Un Livre Blanc ni suffira pas s’il ne s’inscrit pas dans une véritable prospective.
Agitation ou normalité ne sont pas de mise,
De même que les vaines promesses auxquelles personne ne croit,
Sauf peut-être ceux qui les prodiguent.
Pourquoi l’effort, s’il ne doit servir à rien ?
Et pourquoi se sacrifier si chacun n’en a pas sa part ?
Les Français sont comme submergés par trop de bouleversements d’un monde en révolution.
D’un monde qu’ils ressentent comme n’étant plus le leur, dont ils ne savent pas bien ce qu’il est, et dont ils n’imaginent pas ce qu’il pourra être.
Où, d’ores et déjà, ils ont peur de se perdre.
Alors, au lieu de se battre, ils se replient.
On les flatte – l’exception française -, on les cajole – le principe de précaution -, on les démobilise,
Leur faisant croire qu’il suffit de s’embusquer pour échapper aux multiples périls alentour,
Comme si la vie pouvait être sans risque, et le risque toujours sans danger.
Non, la France n’est pas cela et les Français non plus.
Oui, ils connaissent actuellement des problèmes considérables,
Dont ils sont d’ailleurs responsables pour une part.
Mais ceux-ci ne sont nullement insurmontables.
A condition de retrouver, avec l’espérance, la volonté de se battre.
Les Français savent se battre s’ils sont convaincus que la cause en vaut la peine.
La cause en vaut la peine, c’est celle de la France, d’une France qui, malgré ses avatars, demeure dotée d’un exceptionnel potentiel humain, économique, culturel et d’une formidable capacité de création et d’innovation.
Oui, il faut aux Français aimer de nouveau la France.
Pourquoi laisser accaparer la tribune par tant de fausses élites qui font leur miel d’annoncer le déclin ? Quel mépris des Français ! Quelle méconnaissance de la France et de son Histoire !
Les Français ne peuvent compter pour les sauver ni sur un homme providentiel, ni sur un miracle, leur avenir dépendra d’eux seuls. C’est maintenant que celui-ci se décide, déjà il se fait tard. S’ils refusent d’accomplir les efforts nécessaires, ils deviendront peu à peu dépendants des autres et d’un monde sans ordre, ils seront les sous-développés de demain. Au contraire, ils repartiront de l’avant et la France avec eux, véritables acteurs et bâtisseurs d’un futur en gestation, s’ils acceptent de les faire, tout d’abord de façon intensive pendant quelques années, puis dans la continuité d’une action persévérante.
C’est aujourd’hui qu’il faut se ressaisir.
Puissent-ils être nombreux ceux qui, quels qu’ils soient, refusant une imbécile et suicidaire sinistrose, se rassembleront pour réagir, réagir et replacer le pays à l’avant-garde.
Sachons redevenir des gagneurs !
« Quoi qu’il arrive », a dit De Gaulle le 18 juin, « la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ».
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