Géopolitique de la Chine. Voici une analyse attentive et claire des ressorts de l’affirmation chinoise, dans un style simple et agréable.
Présentation du livre de Barthélémy Courmont, « Chine, La grande séduction. Essai sur le soft power chinois », Paris, Éditions Choiseul, 2009, 196 pages.
SI la montée en puissance de la Chine est désormais acquise, reste à savoir quelles seront son image internationale et sa capacité d’influence auprès des gouvernements étrangers, c’est-à-dire son soft power. Conscients de cet enjeu, ses dirigeants mettent en œuvre depuis le début du XXIe siècle une « opération grande séduction » adaptée aux caractéristiques propres à l’empire du Milieu.
À travers l’analyse de cette offensive de charme, Barthélémy Courmont, fin connaisseur de la scène asiatique, propose une lecture attentive et claire des ressorts de l’affirmation chinoise dont il souligne aussi les ambiguïtés.
Docteur en science politique, chercheur à l’IRIS et au CET, Barthélémy Courmont est actuellement professeur-invité à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et titulaire par intérim de la Chaire Raoul Dandurand en études internationales et diplomatiques. Il est aussi le rédacteur en chef de la revue Monde chinois, a publié une quinzaine d’ouvrages sur les relations internationales et vécu plusieurs années à Taiwan.
Ce nouvel ouvrage, Chine, La grande séduction. Essai sur le soft power chinois est écrit dans un style simple et agréable. Il évite toute polémique inutile en se basant sur une observation informée des faits sans parti pris. Il s’ouvre par une appréciation de la richesse historique et du dynamisme contemporain - du cinéma aux médias - de la civilisation chinoise dont il montre la valeur politique. Ces attributs sont en effet orientés par le gouvernement pour véhiculer un nouveau visage, celui d’un « dragon bienveillant » (p. 9) comme en témoigne l’ouverture d’instituts Confucius à travers le monde. L’organisation soignée des Jeux Olympiques de Pékin de l’été 2008 est « surtout l’occasion pour la Chine de dévoiler sa puissance au grand jour […] en somme, une vitrine de ce que la Chine est désormais capable d’offrir au monde » (p. 19).
Or ce n’est pas seulement le regard posé par les étrangers sur la Chine qui évolue, mais celui des Chinois eux-mêmes. La génération de Tiananmen (1989) fait place à une nouvelle jeunesse marquée par un nationalisme plus farouche à l’étranger (la diaspora chinoise très importante sert de relais aux efforts de Pékin, dont elle amplifie la portée). La familiarité personnelle de l’auteur avec les réalités chinoises lui permet de dépasser un simple point de vue extérieur pour s’intéresser à la manière dont la population chinoise vit les transformations très rapides du pays. Cet aspect, souvent négligé, est un enjeu primordial pour comprendre la Chine, d’autant plus que la priorité de Pékin concerne la stabilité intérieure du pays. Sur le plan extérieur, le soft power prolonge et renforce l’insertion économique de la Chine dans la mondialisation.
Pourquoi alors avoir négligé le soft power dans les années 1990 ? L’auteur replace l’attitude des stratèges chinois à l’égard du concept de soft power au sein d’un débat plus général sur la puissance. L’exemple américain joue un rôle structurant dans la vision chinoise des relations internationales, et sert à la fois de modèle et de contre-modèle aux aspirations de Pékin. Par une mise en regard habile des deux pays, l’auteur permet de mieux appréhender les caractéristiques principales de la puissance chinoise. Celle-ci refuse ainsi l’étiquette d’hyperpuissance, statut contraignant et trop lié aux pays développés pour Pékin. Ce sentiment s’accompagne d’une volonté d’éviter tout conflit avec les États-Unis et conduit les dirigeants chinois à naturellement privilégier une stratégie d’influence pragmatique et patiente. « Sa faculté à ne pas se disperser » (p. 69) donne un caractère inéluctable à l’ascension chinoise malgré l’asymétrie de moyens avec les États-Unis. Pékin a su exploiter les déboires de la politique américaine entre 2001 et 2008 pour se poser en véritable contre-modèle à Washington sans entrer en conflit direct avec les intérêts américains.
Après ces examens d’ensemble et théoriques de la stratégie d’influence chinoise, l’auteur démontre à travers des analyses empiriques qu’elle s’appuie « essentiellement sur le couple partenariat économico-commercial et échanges culturels » (p. 74). Pour en mesurer la réussite dans les différentes régions « Sud » (Asie du Sud-Est, Afrique, Moyen-Orient, Amérique Latine) il fait un usage très intéressant de sondages qui comparent la popularité des États-Unis à celle de la Chine dans les principaux pays de chaque zone citée précédemment.
Ces brefs chapitres régionaux montrent comment les partenariats économiques permettent à la présence chinoise de s’implanter ou de s’ancrer dans différents pays. Cette insertion est favorisée par un modèle politique attractif pour de nombreux pays en développement, à savoir une réussite économique exemplaire et des principes caractérisés par une absence de valeurs (non-ingérence, inconditionnalité de l’investissement chinois…).
Le soft power chinois combine ainsi rayonnement populaire et influence matérielle au niveau politique : il propose un modèle attractif qui dote Pékin en même temps de réels moyens de pression. L’ambiguïté de cette stratégie de puissance – car c’est bien de cela dont il s’agit – apparait avec le plus de clarté dans la « diplomatie du chéquier », par laquelle la Chine continentale poursuit l’isolement international de Taiwan.
Cet essai clair, cohérent et construit propose en fin de compte une lecture normalisée de la puissance chinoise. En reliant le soft power chinois aux autres dimensions de la stratégie de puissance de Pékin, l’auteur trouve ainsi tous les éléments du smart power prôné par l’administration de B. Obama. Si l’avenir de l’ascension chinoise appelle un recours croissant au soft power, dont ce livre présente les enjeux dans une prose limpide très agréable, l’auteur met en garde contre « une assurance trop nette » de l’empire du Milieu, qui « doit accepter d’être critiquée » (p. 192) si elle veut être reconnue. Si l’Occident doit accepter la Chine comme une puissance internationale normale, il faut aussi que les dirigeants chinois fassent de même.
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