Quelle est la situation en RCA ? La restauration de l’autorité de l’Etat, la revitalisation de l’administration, la réinstallation des déplacés et des réfugiés et la bonne gestion des finances publiques restent à faire. Si des progrès en matière de sécurité sont indéniables, on les doit surtout à la Minusca, appuyée par la Force française Sangaris. Le népotisme, le clanisme et les mauvaises pratiques sont cependant réapparus avec les mêmes effets dévastateurs que par le passé.
EN CENTRAFRIQUE, les accords de réconciliation nationale et les programmes de Démobilisation, de Désarmement et de Réinsertion (DDR) se succèdent sans connaître une réelle concrétisation. [1]
Après chaque fiasco, de nouvelles autorités prennent le relais pour chercher la quadrature du cercle. [2] et sollicitent de nouveaux financements. En l’absence d’une comptabilité publique et de contrôles financiers, les détournements et malversations diverses réapparaissent pour le plus grand profit des nouveaux gouvernants, vite rejoints par les incontournables prédateurs qui sévissent depuis plusieurs décennies. Barthémy Boganda, le père fondateur de la République centrafricaine, connaissait bien son peuple et ses élites. Ne prédisait-il pas qu’en l’absence d’un Etat fédéral pour les Territoires de l’ex Afrique Equatoriale Française, l’indépendance du seul Oubangui-Chari serait suicidaire ?
Le dernier Forum de réconciliation nationale de Bangui, qui s’est déroulé du 4 au 11 mai 2015, va probablement prendre place dans cette liste de rendez-vous manqués. Les réactions dubitatives des médias, l’absence à la cérémonie de clôture de plusieurs personnalités centrafricaines de premier plan et de représentants de haut niveau de la CEEAC devraient pourtant interpeller. Que retenir de ce Forum ?
Lors de l’ouverture du Forum, le 4 mai 2015, le Président Denis Sassou-Nguesso, avait averti que les élections présidentielle et législatives devaient avoir lieu dans les délais impartis, c’est-à-dire avant le 17 août 2015, terme de la Transition. En sa qualité de Médiateur international de la crise, le Président congolais était pourtant le mieux placé pour savoir qu’il était impossible de respecter une telle échéance.
Le Médiateur international avait déjà pu constater que l’Accord de Brazzaville du 23 juillet 2014, pour lequel il avait mis tout son poids et mobilisé tous ses réseaux, n’avait pas eu les effets escomptés. Dans une ultime tentative de réconciliation nationale et avec le concours des autorités kényanes, il avait tenté d’organiser une « paix des braves » entre les ex présidents Bozizé et Djotodia, au demeurant tous les deux sous sanctions internationales. Sans surprise, l’accord entre les deux principaux protagonistes de la crise centrafricaine ne fut reconnu ni par les autorités centrafricaines ni par le G8-RCA, composé notamment de l’ONU, de l’Union africaine, de l’Union européenne, des Etats Unis d’Amérique et de la France. [3]
Les relations difficiles qu’entretient le Président Sassou-Nguesso avec le Président gabonais, Ali Bongo Ondimba, nouveau président de la CEEAC, sonnent probablement le glas de la médiation du président congolais. [4] Le retour du Rwanda au sein de la CEEAC peut avoir des répercussions dans la nouvelle implication de la CEEAC en Centrafrique. L’axe Gabon-Angola-Rwanda va prendre le relais du Cameroun et du Tchad, davantage préoccupés par Boko Haram, et du Congo, confronté aux incertitudes de la prochaine élection présidentielle. Le désengagement de la France de la crise centrafricaine, plus rapide que prévu, constitue ainsi une opportunité pour le Président Paul Kagame en vue de pousser ses pions autour de la République Démocratique du Congo.
Depuis son élection par le Conseil National de la Transition (CNT) [5], Catherine Samba-Panza a perdu beaucoup du crédit que lui accordaient la plupart des partenaires techniques et financiers.
La restauration de l’autorité de l’Etat, la revitalisation de l’administration, la réinstallation des déplacés et des réfugiés et la bonne gestion des finances publiques restent à faire.
Les « affaires » comme celle du « don angolais », les nominations de proches et de parents et la création d’un gouvernement-bis avec une trentaine de ministres conseillers ont terni sa présidence. En dépit d’une prolongation de six mois de son mandat, qui venait à échéance le 17 février 2015, le bilan de la Transition reste maigre.
La restauration de l’autorité de l’Etat, la revitalisation de l’administration, la réinstallation des déplacés et des réfugiés et la bonne gestion des finances publiques restent à faire. Le référendum constitutionnel, les élections présidentielle et législatives ne sont toujours pas en vue. Si des progrès en matière de sécurité sont indéniables, on les doit surtout à la Minusca, appuyée par la Force française Sangaris. De même, si la cohabitation entre musulmans et chrétiens renaît, l’action des ONG en est largement à l’origine. La création d’une Cour pénale spéciale et le rejet de toute impunité sont de réelles avancées mais qui ne peuvent masquer les défaillances du système judiciaire.
Les rocambolesques évasions, de la Section de Recherches et d’Investigations de Bangui, de l’ancien ministre violeur, Romaric Vomitiade, et du « boucher de Paoua », Eugène Ngaïkosset, rappellent que la chaîne pénale est toujours en jachère. En revanche, le népotisme, le clanisme et les mauvaises pratiques sont réapparus avec les mêmes effets dévastateurs que sous les précédents Présidents de la République. Comme toujours en Centrafrique, on met en cause l’insuffisance des financements extérieurs, sans trop se soucier des recettes internes et de leur gestion comptable.
Etant donné les retards cumulés dans les opérations pré-électorales, une prolongation significative de la durée de la Transition semble acquise. La Conférence des chefs de l’Etat et de gouvernement de la CEEAC a déjà donné un accord de principe, avant sa saisine officielle par les autorités de la Transition.
Les démembrements de l’Autorité Nationale des Elections (ANE) ne sont pas terminés sur l’ensemble du territoire. L’établissement des listes électorales n’a pas commencé. Les déplacés et réfugiés ne sont pas recensés. Outre l’insécurité ambiante et les avatars de la saison des pluies, les inscriptions sur ces listes électorales exigent la production de documents officiels dont la plupart des citoyens n’ont plus la possession. La confection et la délivrance des cartes d’électeurs prennent du temps, sauf à recourir aux habituelles officines, rompues aux pratiques de la fraude documentaire.
La Cour constitutionnelle a rappelé que les futures élections législatives et présidentielle doivent être précédées par le référendum sur la nouvelle constitution. [6] Le CNT aura mis 19 mois pour adopter, le 16 février 2015, un avant-projet qui a été transmis au gouvernement, pour avis et amendements. Un Atelier national d’ « enrichissement », réuni conjointement, par le CNT et le gouvernement, doit ensuite se prononcer sur l’avant-projet de constitution. In fine, l‘avis de la Cour constitutionnelle sera requis, avant que le projet définitif ne soit soumis aux citoyens. Préalablement, les listes électorales, vérifiées et acceptées, doivent être établies. Il n’est pas exclu que le référendum se transforme en plébiscite. Dans ce cas, un vote négatif constituerait une nouvelle épreuve pour la Transition.
Il faudrait une volonté politique inébranlable des autorités de la Transition et une forte mobilisation des partenaires techniques et financiers de la République centrafricaine.
Toutes ces actions impliquent l’adoption préalable d’un chronogramme harmonisé avec un calendrier électoral adopté par toutes les parties prenantes. Il faudra ensuite que le territoire national soit sécurisé et que l’Etat reprenne possession des nombreuses enclaves qui échappent à son autorité. Avec le retrait progressif de la Force Sangaris, la MINUSCA est désormais seule face à ses multiples missions dont la sécurisation des prochains scrutins. Pourra-t-elle faire mieux que la MICOPAX, en 2011, lors des précédentes élections ? Etant donné la situation actuelle et les échos perçus du dernier Forum de Bangui, des élections crédibles et non contestables peuvent-elles être organisées en 2015 ?
Cet ambitieux objectif suppose une volonté politique inébranlable des autorités de la Transition et une forte mobilisation des partenaires techniques et financiers de la République centrafricaine. Ce énième pari sera probablement le dernier pour l’avenir de la République centrafricaine.
Un simple blanc-seing donné aux autorités de la Transition risque de ne pas faciliter le retour à la paix et à la réconciliation nationale. Si on imagine mal un retrait de la Chef de l’Etat de la Transition, en revanche, il est patent que le Premier ministre, Mahamat Kamoun, est devenu un obstacle à la sortie de crise. [7] Son départ est néanmoins hypothétique, étant donné la politique de l’autruche du G8 et notamment de l’ONU.
La gestion des finances publiques doit être mieux contrôlée avec notamment le retour à la bancarisation des recettes, le renforcement des moyens de la Cour des comptes avec des experts internationaux et la mise en œuvre des sanctions pénales et disciplinaires.
Des mesures de bon sens peuvent endiguer les mauvaises pratiques. Ainsi, afin d’éliminer la cacophonie et les chevauchements de compétences, les ministres conseillers de la chef de l’Etat doivent être supprimés. Un gouvernement restreint à une quinzaine de ministres est un gage d’efficacité. La gestion des finances publiques doit être mieux contrôlée avec notamment le retour à la bancarisation des recettes, le renforcement des moyens de la Cour des comptes avec des experts internationaux et la mise en œuvre des sanctions pénales et disciplinaires. Les causes des échecs et des malversations financières des précédents processus électoraux et des programmes DDR doivent faire l’objet d’ateliers de sensibilisation pour éviter leur reconduction. De telles mesures n’exigent pas d’importants financements mais elles sont annonciatrices de bonnes pratiques, indispensables pour un retour à un ordre constitutionnel normal et à la réconciliation nationale.
Suite à la Table Ronde de Bruxelles, du 26 mai 2015, le Fonds multi-bailleurs européen « Bêkou » devrait être abondé de plusieurs dizaines de millions d’euros et l’aide humanitaire devrait également bénéficier de financements additionnels. Comme d’habitude, il s’agit de promesses, aussi peut-on craindre que le décaissement effectif ne soit éloigné de celles-ci. En cette période de l’année budgétaire, il n’est pas sûr que les crédits disponibles non affectés, soient encore suffisants pour concrétiser ces financements. Ensuite, il faudra accélérer les procédures de décaissement afin de respecter l’échéance de la fin de l’année 2015. Ne comptant que sur les financements extérieurs, sans trop se préoccuper des recettes internes, les autorités de la Transition risquent de rester l’arme au pied.
Bien évidemment, des élections peuvent avoir lieu en ne respectant pas les normes internationales, comme ce fut si souvent le cas en Centrafrique et dans presque tous les Etats de la CEEAC, impliqués dans le règlement de la crise centrafricaine. Dans ce cas, la Centrafrique rejoindra le cimetière des Etats aux côtés de la Somalie, de la Libye, de l’Erythrée et du Soudan du Sud.
En l’absence d’élections crédibles et transparentes, la voie sera alors ouverte à toutes les aventures, dans une région où les lendemains des prochaines élections au Cameroun, au Congo, en RDC, au Tchad et au Gabon s’annoncent également très inquiétants.
Copyright Juin 2015-Niewiadowski/Diploweb.com
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[1] Les derniers accords annonçant la fin des hostilités sont : l’accord de Syrte du 2 février 2007, l’accord de paix de Birao du 13 avril 2007, l’accord de cessez-le-feu et de paix de Libreville du 9 mai 2008, l’accord de paix global du 21 juin 2008, les accords de Libreville du 11 janvier 2013, l’accord de fin des hostilités de Brazzaville du 23 juin 2014. Le Forum de Bangui s’est achevé par un accord républicain pour la paix, la réconciliation nationale et la reconstruction et un accord pour le Désarmement, la Démobilisation, la Réinsertion et Rapatriement (DDRR) du 11 mai 2015.
[2] Avec une superficie équivalente à celle de la France et du Benelux, une population d’un peu plus de 4 millions d’habitants, un budget national inférieur à celui de la ville de Lille et un Etat en déliquescence depuis des décennies, est-il possible de résoudre les problèmes sécuritaires alimentés par ses richesses minières, d’assurer le développement économique et social sur l’ensemble du territoire et de résister aux forces déstabilisatrices venues de l’extérieur ?
[3] Les chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC, réunis à Addis Abeba le 31 janvier 2015, avaient interdit « toute démarche parallèle pouvant compromettre les efforts en cours de la communauté internationale visant à rétablir la paix, la sécurité et la stabilité en République centrafricaine ».
[4] Si Denis Sassou-Nguesso était présent à l’ouverture du Forum de Bangui, en revanche, il renonça aux débats et ne participa pas à la cérémonie de clôture. Cette absence, qui s’apparente à un boycott, est significative et laisse présager son retrait de la médiation.
[5] Catherine Samba-Panza a été élue par le CNT, le 20 janvier 2014, au deuxième tour de scrutin, par 75 voix sur 135. Les membres du CNT ont été nommés par deux arrêtés d‘ avril 2013, par le pouvoir exécutif, issu du coup d’Etat, du 24 mars 2013.
[6] Par une Décision n° 005/15/CCT du 15 avril 2015, la Cour constitutionnelle a confirmé que le référendum pour l’adoption de la Constitution devait précéder les élections présidentielle et législatives .
[7] La nomination de l’ancien directeur de cabinet de Michel Djotodia , envers et contre tous, par Catherine Samba-Panza, n’est pas conforme à l’article 29 de la Charte constitutionnelle qui précise : « Le chef de l’Etat de la Transition entérine la désignation du Premier ministre, chef de Gouvernement, conformément à l’Accord politique de Libreville du 11 janvier 2013... ».
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