François Géré est Directeur de l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS). Il se spécialise à partir de 1980 dans l’étude des différents courants de la pensée stratégique française et américaine depuis 1945.Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique, l’association à laquelle le Diploweb.com est adossé.
Le Diploweb.com publie une série d’articles consacrés la pensée stratégique française contemporaine. Nous découvrons au fil des mois des penseurs d’envergure qu’il serait pertinent de mieux valoriser. Après de Lattre, voici Beaufre et l’Institut Français d’Etudes Stratégiques.
Une étude de F. Géré richement documentée, puissamment pensée et clairement rédigée. L’auteur présente successivement le parcours d’André Beaufre ; sa méthode ; ses principes et concepts ; le fait nucléaire et la dissuasion ; la stratégie totale et la guerre révolutionnaire ; trois malentendus et cinq pièces conclusives. Voici donc un texte de référence sur l’un des grands stratèges français du XXe siècle dont la pensée gagnerait à être mieux connue. Avec en bonus une vidéo de François Géré au sujet d’André Beaufre (13 minutes).
Après avoir été portée par Diploweb de 2014 à 2017, cette série d’études de François Géré à propos des stratèges français contemporains fait l’objet d’un livre de François Géré, "La pensée stratégique française contemporaine", Paris, Economica, février 2017.
1924-25 guerre du Rif marocain
1933 Hitler devient Chancelier du Reich
1938 Conférence de Munich
1940 Armistice
1948 « Coup de Prague »
1954 Dien Bien Phu
1955 Conférence de Bandoeng
Décembre 1956 Crise et expédition de Suez
1957 L’URSS met sur orbite le premier satellite spatial artificiel nommé « Spoutnik »
13 mai 1958 Fin de la Quatrième République et passage aux institutions de la Cinquième République
Fin 1960 Le président Kennedy lance un « crash program » balistico-nucléaire visant à rattraper et à devancer l’URSS
1961-62 Edification du Mur
1962 Crise de Cuba
1963 Engagement croissant des Etats-Unis au Vietnam
1967 Guerre israélo-arabe, dite des « Six jours »
1972 Accords de l’avenue Kléber. Les Etats-Unis quittent l’Indochine
1973 Guerre du Kippour
1975 Décès d’André Beaufre
[1]
Né en 1902, Beaufre n’a pu faire l’expérience de la première guerre mondiale.
1920, à Saint Cyr, Beaufre a le capitaine de Gaulle, son aîné de 13 ans, comme professeur d’histoire militaire.
1923 il fait ses premières armes dans le Rif marocain où il est grièvement blessé.
1925-35 Carrière rapide pour un intellect brillant, le plus jeune officier de l’Etat-Major général
1935 première rencontre avec Basil Liddell Hart.
1938-39 Mission d’un an à Moscou.
1941 secrétaire permanent de la défense nationale en Algérie auprès du général Weygand.
Arrêté, il passe en conseil de guerre pour avoir prêté la main à la préparation du débarquement allié l’opération « Torch » de Novembre 1942
Fin 1942 nommé chef de cabinet du commandant en chef d’Afrique du Nord, le général Giraud.
Reprend une activité opérationnelle en Tunisie puis en Italie auprès de De Lattre durant la campagne de France de 1944-1945
1947-48 commandement opérationnel au Tonkin
1949 sous-chef d’Etat-Major à Fontainebleau de l’UEO
1950 accompagne De Lattre en Indochine
1953 Chef du groupe d’études tactiques interallié
Commande la 2éme division d’infanterie mécanisée
1955 part en Algérie comme commandant de zone pour des missions extrêmement classiques, inadaptées à la nature de la guerre révolutionnaire.
Décembre 1956 dirige la composante terrestre de l’expédition de Suez
1958 Chef d’Etat-Major adjoint à SHAPE
1960 représentant de la France au groupe permanent de l’OTAN à Washington DC.
En 1962, De Gaulle choisit Charles Ailleret, l’homme du nucléaire et de la guerre d’Algérie, pour devenir chef d’Etat-major général de la Défense nationale, son cadet de cinq ans, (né en 1907). Aux yeux du président de la République, Beaufre est trop « atlantiste » ; en outre il est possible que de vieux souvenirs aient joué un rôle négatif. Weygand et Alger à l’époque de Giraud. Beaufre ne fut jamais un gaulliste « de la première heure ». Comme de Lattre il prit le temps d’apprécier la valeur des positions de chacun en vue de libérer la France, indiscutable objectif commun.
C’en est donc fini de la carrière militaire active de Beaufre qui, à 60 ans, se retire. Il écrira à l’occasion de la mort accidentelle d’Ailleret en 1968 un éloge d’une parfaite élégance. [2]
Relevons ici la significative inversion de parcours professionnel par rapport à Charles Ailleret. Ce dernier entame sa carrière en multipliant les conférences d’abord, avant d’accéder à des responsabilités supérieures. Beaufre a été accaparé par les commandements opérationnels, non sans avoir été un conférencier et un rédacteur d’articles prolixe.
Commence alors le temps du stratégiste et du chroniqueur itinérant pour Le Figaro où il se retrouve en compagnie de Raymond Aron. En 1964-1970, il effectue de nombreuses visites « privées » au Vietnam Sud.
Les articles et chroniques du Figaro présentent un intérêt remarquable non pas tant en raison d’un commentaire pertinent de l’actualité stratégique mais parce qu’ils sont à la fois des approfondissements et des mises à jour de propositions, d’intuitions, de prévision exprimées, parfois hasardées dans les ouvrages fondamentaux antérieurs. Beaufre teste la validité de sa construction théorique à l’épreuve des événements nouveaux politiques et à l’évolution des techniques d’armement.
Cinq évènements surdéterminent la réflexion beaufrienne : les deux guerres mondiales mais surtout la seconde, la guerre froide, la décolonisation et l’irruption, à la charnière, de l’arme nucléaire. Ces éléments structurants sont eux-mêmes ressaisis par un concept englobant, celui de stratégie totale. Est-ce la "grand strategy" ou la stratégie intégrale ou encore la « guerre totale » ? Au terme de cette étude, nous aurons à fournir des réponses à cette interrogation.
Homme de l’expédition manquée de Suez, Beaufre est particulièrement sensible au phénomène de décolonisation. A travers le nationalisme des peuples jeunes qui aspirent à l’identité nationale et à travers le marxisme-léninisme, Beaufre reconnaît la puissance du fait idéologique, sa capacité à saisir les esprits à mobiliser les volontés et à unir les forces humaines. C’est à partir de ce socle empirique que vont se développer l’analyse et la théorisation.
Le début des années 1960 constitue une étape importante marquée par la floraison d’organismes nouveaux stimulés par des disciplines nouvelles comme la prospective, à l’image des think-tanks américains « para gouvernementaux », le Hudson Institute de Herman Kahn, ou universitaires (Harvard) et bien sûr la RAND C° créée dès 1947. Mentionnons le Centre de Prospective et d’Evaluation du Ministère de la Défense (que rejoint le colonel Poirier en 1963) et le Centre d’Analyse et de Prévision du Ministère des Affaires Etrangères co-fondé par Thierry de Montbrial et Jean Louis Gergorin. Le Centre d’Etudes de Politique Etrangère (CEPE) de Jacques Vernant donnera naissance à l’IFRI sous l’autorité de Montbrial. En liaison avec ces organismes, Beaufre crée l’Institut Français d’Etudes Stratégiques IFDES en 1962-3. Initiative féconde car les travaux de l’IFDES s’attachent à étudier et analyser toutes les péripéties de l’actualité pour en tirer des enseignements de niveau théorique dont les résultats sont rapidement publiés. Le premier numéro de la revue « Stratégie » parait à l’été 1964. Son ouvrage, Introduction à la Stratégie a été publié l’année précédente.
La plupart des membres de l’IFDES resteront imprégnés par trois conceptions majeures.
En premier lieu par la nécessaire insertion les phénomènes conflictuels dans une totalité stratégique [3].
Deuxièmement, par le fait essentiel que « la stratégie dépasse (transcende) la guerre parce qu’elle accède à une dimension supérieure, englobante, par le nucléaire mais aussi par l’existence avérée d’une conception totale de l’affrontement idéologique ». Conception qu’il convient de rapporter à l’ouvrage de Leo Hamon « La stratégie contre la guerre » [4] préfacé par le général Ailleret.
Enfin, et surtout, par l’affirmation d’une consubstantialité entre stratégie et politique d’où procède l’idée culminante dans la construction beaufrienne de « politique totale ». Il ne s’agit plus de la formule clausewitzienne « la guerre est la continuation de la politique….. » mais bien plutôt : la stratégie sert les buts de la politique qui, sans elle, serait impuissante. Ce que le général Poirier exprimera un peu plus tard dans la formule : « la stratégie est la politique en acte ».
Et pourtant ! Par la suite, cette totalité n’a fait que se fragmenter en théâtres d’opérations isolés et se réduire en conflits partiels. Les parties finissent par l’emporter sur le tout comme dans la guerre du Kippour de 1973. La dissuasion nucléaire réduit la guerre comme option de résolution de crise…. Il faut donc pour l’emporter recourir à une manœuvre générale de stratégie indirecte incluant des guerres limitées et la mise à l’épreuve de l’ennemi par le biais de crises contrôlées.
Toutefois la bipolarité nucléaire impose sa loi en sorte que les guerres restent limitées. Si la guerre de Kippour est courte, alors que celle du Vietnam s’étire en longueur aucune des deux ne franchit des seuils de violence soigneusement calculés.
Chacun des affrontements se voit accompagné et encadré par un suivi diplomatique destiné à prévenir l’escalade logique de la montée aux extrêmes paroxystiques de la violence. Il nous apparaît que la polarité nucléaire a imposé la mise en place d’un dispositif anti/contre clausewitzien.
Reste, dans l’ensemble l’imprégnation des intellects et l’infusion des réflexions : De Lattre, Beaufre, Poirier, Charnay, Joxe se sont transmis conceptions et concepts de 1939 à 2009. Remarquable passage de relais qui, non sans chaos, se poursuit.
La méthode est au cœur de la démarche de Beaufre au point qu’il ne craint pas d’affirmer que « la stratégie ne doit pas être une doctrine unique mais une méthode de pensée » [5] ajoutant : « Tout plan stratégique doit viser la décision par un enchaînement d’événements clairement conçus. » [6] On croirait entendre René Descartes : « ces longues chaines de raisons toutes simples faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations » [7]
Par ailleurs pour développer sa pensée et mieux la faire comprendre, Beaufre recourt à de nombreuses métaphores empruntées aux sciences appliquées, notamment à la médecine (diagnostic, prévention) et à la chirurgie (anatomie, dissection). Il y ajoute des jeux (échecs et poker) et certains sports avec une prédilection pour l’escrime qui le conduit à caractériser la dialectique action-réaction à travers huit types offensifs (menacer, feindre, fatiguer et six types défensif (parer, esquiver, rompre….). [8]
Plus abstraits, les outils d’investigation du champ stratégique sont multiples. Nous les répartissons en trois catégories : prospective et prévision ; probabilité ; dialectique et contradiction. Tous contribuent à l’établissement des concepts fondamentaux de la pensée beaufrienne.
« L’action vise toujours un résultat qui est apprécié comme un gain… L’espoir de ce gain, qui constitue l’enjeu, est toujours balancé par l’appréciation du risque présenté par les conséquences de l’action….. Ainsi l’action, dans sa définition la plus simple, repose toujours sur une dialectique entre le gain et la perte possibles, un bilan entre l’espérance de succès et la crainte des risques encourus ». [9]
Le risque « doit être associé à la notion d’enjeu car il est bien certain que la dissuasion résulte d’une comparaison défavorable du risque avec l’enjeu. Mathématiquement, la dissuasion commencerait lorsque le risque serait supérieur à l’enjeu….. Disons aussi que la comparaison des enjeux des deux adversaires marque le degré de tension du conflit qui les oppose » [10]. Beaufre en infère une échelle des risques étalonnée depuis le risque nul (0 à 2%) jusqu’au risque inacceptable (50 à100%).
Cette approche révèle l’influence des travaux de Pierre Vendryès [11] sur la probabilité inférée à partir de l’étude d’événements historiques comme l’expédition d’Egypte (on imagine la sensibilité de Beaufre à cet illustre précédent) et les campagnes d’Italie. Le recours à cette méthode entretient un rapport étroit avec le plan et la manœuvre parce qu’ils doivent intégrer la dimension contre aléatoire (on relit Las Cases, Bonaparte pour lui faire dire cela…..)
Or dans l’affaire de Marengo il apparaît que Bonaparte s’est complètement trompé en raison de renseignements erronés sur les intentions du général Mélas, son adversaire autrichien. Les ponts sur la rivière Bormida n’ont pas été détruits. A tort, Bonaparte a donc détaché Desaix vers la côte génoise via Alessandria. L’ayant rappelé en catastrophe, il évite ainsi d’extrême justesse une défaite stratégique. [12] En justice, il faudrait donc parler de l’erreur de Marengo heureusement réparée ! Et si au lieu de se débander, trop vite démoralisés, les Autrichiens avaient tenu bon ? Juste un coup de chance ! Affaire psychologique. Au demeurant Vendryès s’appuie sur la probabilité là où il serait licite, à mon sens, de parler de degré d’incertitude dans l’anticipation de la réaction adverse.
Reste qu’à l’époque ce courant de recherche novateur a exercé sur les esprits une forte influence, inspirant la création des centres de prospective mentionnés ci-dessus. Suivant de près l’IFDES, Lucien Poirier y a trouvé, - comme on le verra dans une prochaine étude - de quoi établir son système. Cette approche est-elle aujourd’hui périmée ? L’outil serait-il devenu obsolète ? Peut-on ébranler les fondements d’une théorie comme la loi de la gravitation de Newton ? Certainement et c’est fait depuis un siècle. Peut-on s’en affranchir absolument dans la pratique ? Certes pas. Il importe peu que l’on parle moins de prospective et qu’une certaine futurologie ait depuis vingt ans occupé le devant de la scène tandis que d’autres instruments d’analyse comme la théorie du chaos sont venus s’ajouter. Reste que tout officier en charge d’une planification opérationnelle se doit de proposer non pas une mais plusieurs idées de manœuvres. Il lui faut travailler en logique probabiliste et donc intégrer dans son plan la dimension contra aléatoire.
Etroitement liée aux mobiles de l’action, [13] la prévision devrait jouer un rôle majeur. Or c’est loin d’être le cas. Sans doute parce que « l’une des raisons d’absence de prévisions est que les chefs – militaires ou civils - sont empêchés par une étrange pudeur de faire des prévisions défavorables » [14]
Marqué par les erreurs de 1914 et pire encore, celles de 1940, puis les égarements de l’Algérie, Beaufre dresse un constat sévère de ces engagements militaires décidés par des autorités politiques incapables de déterminer l’objectif final de leur entreprise. Ainsi, suivant Beaufre, il semble que l’on accède à un principe général : déterminé par ses mobiles, engagé dans une voie d’action le (mauvais) décideur, intransigeant jusqu’à l’autisme, écarte, exaspéré, les objections voire les conseils les plus modérés suggérant de modestes inflexions.
Le terme est omniprésent. Les formules abondent, caractérisant toutes les situations d’affrontement. La stratégie est présentée comme la dialectique entre l’enjeu et le risque…. [15] et « la dialectique des espérances de victoire des deux adversaires » [16]. S’agissant de dissuasion nucléaire, « la stabilité dépendra de la dialectique des échanges entre capacités survivantes de deuxième frappe ». [17] Pourquoi cet engouement pour la dialectique ? On ne trouve nulle trace de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave et du retournement ultime de leurs positions respectives. De quoi s’agit-il dans la pensée de Beaufre ? Il faut ici expliciter.
La dialectique est celle de l’affrontement à parité des forces antagonistes, tout au plus avec un décalage du faible devant le plus fort, du moins en apparence. C’est l’Un face à l’Autre. Tout affrontement est dialectique entre deux « arguments », entre deux volontés. La dialectique constitue l’essence même du duel, de l’escrime. Dès le premier coup porté, commence l’échange offensif-défensif, le jeu des feintes en vue de l’acquisition de la supériorité.
L’analyse de ces éléments essentiels à la constitution du « processus stratégique, à savoir mobiles plus décision », procède par « comparaison des objectifs politiques des Etats et par analyse des contradictions existant entre les différents objectifs politiques d’un Etat ». [18] Contradiction est pris ici dans le sens commun, non dialectisé, de manque de cohérence logique et, pour tout dire, de confusion. Cette critique laisse supposer que la ligne politique générale comporte de multiples défauts. Voilà qui, si l’on analyse son propre pays, constitue un jugement particulièrement acerbe. Il correspond bien à l’esprit beaufrien qui ne laisse guère passer les incohérences de raisonnement chez les décideurs en place ayant fait l’expérience d’engagements militaires sans buts politiques définis.
Les travaux de l’IFDES font état d’une « algèbre des contradictions ». « Elles résultent de l’opposition des termes ou des conséquences des mobiles inspirant les Etats. Les contradictions peuvent être internes, dialectiques, externes. Elles peuvent aussi être mixtes. Résoudre une contradiction c’est supprimer l’un des termes donc l’un des mobiles ou supprimer la cause de la contradiction. » [19] Beaufre lui-même mentionne la conception marxiste des contradictions et marque clairement sa différence d’approche et de problématique. Sa conception de la contradiction n’est pas celle de Mao qui distingue entre principale et secondaire. [20] De même Beaufre n’entre pas dans la logique des contradictions non antagonistes, par définition, au sein du peuple. Reste que le lexique beaufrien semble fortement influencé par la lecture du dirigeant marxiste-léniniste auquel le concept de résolution semble emprunté puisque le but est de résoudre les contradictions amies et de multiplier les contradictions ennemies.
Mais il est vrai que la notion de contradiction dite "de fait" relève de l’action pure et non d’une analyse politique et moins encore d’une philosophie de l’histoire. « Contradiction » pour Beaufre signifie opposition de forces et conflit des volontés animatrices de ces forces. C’est pourquoi il illustre sa conception par une étude approfondie de la manœuvre hitlérienne durant la crise de Munich de 1938. Développant sa propre conception de la contradiction, Beaufre la relie à la décision qui, de ce fait, sera plus ou moins libre. Il en infère la notion, à ses yeux primordiale, de "liberté de décision politique".
Au regard de ses références, Beaufre semble plus influencé par les praticiens que par les théoriciens.
Incontestable est l’influence de Liddell Hart. On peut légitimement parler de connivence entre les deux pensées. En revanche on ne voit pas Beaufre se placer sous l’égide de Sun Zi qu’il ignore, pas même de Clausewitz à l’égard duquel il prend ses distances, car il mesure avec justesse l’ampleur de l’écart historique et la différence des niveaux stratégiques et opérationnels, voire étroitement tactiques [21]
Des références oui ; mais point d’imprégnation germinale. S’il fallait retenir deux pôles d’attraction ce serait Hitler et Bonaparte, A quoi peut-être on ajoutera Lénine en qui Beaufre voit un des utilisateurs les plus subtils de la stratégie indirecte situation de paix-guerre et Mao Ze Dong (compte tenu de la difficulté à l’époque de se procurer une traduction décente de leurs écrits) à la fois praticien et théoricien de la guerre révolutionnaire totale et utilisateur de la contradiction comme instrument d’explication des situations conflictuelles. De Ludendorff, il n’est guère fait mention en dépit de la guerre totale. De Lattre sur lequel Beaufre reste très discret l’a directement influencé dans la pratique, par imprégnation, par mimétisme peut-être. Au regard des textes, il paraît difficile de déterminer si Beaufre lui-même n’a pas instillé dans l’esprit de son aîné l’idée de la stratégie comme totalité. Le général mentionne parfois Raymond Aron dont il lit les articles du Figaro et connaît les ouvrages sur les relations internationales. La praxéologie, science de l’Action suggérée par Aron, lui sert de référence ponctuelle. Rien au-delà. Il se gardera de prendre parti dans la triste querelle entre le sociologue et le général Gallois. Si, comme on va le voir, il ne partage pas la radicalité du général, il n’éprouve cependant pas la même sympathie qu’Aron pour les conceptions américaines de l’arme nucléaire.
Voilà donc en place un arsenal avec ses machines à comprendre et leurs rouages logiques. Que produit-il ? Un ensemble de concepts fondamentaux indissociablement liés entre eux.
Curieusement Beaufre inaugure son étude sur une note mélancolique. " La stratégie ne pénètre ni dans le grand public, ni même vraiment dans les milieux militaires où l’on continue à penser technique et tactique". [22] Surmontée cette réserve, Beaufre s’attaque au cœur du problème à savoir une définition de la stratégie. Définir c’est établir les limites d’un champ de pertinence. Arpenteur d’une discipline, Beaufre pose des bornes conceptuelles. En résulte une rafale de définitions : « art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique. » [23] « Art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».
On relèvera que Beaufre privilégie le terme « art » et se garde de parler de « science ». Ces définitions ne se contredisent pas mais s’enrichissent, se complexifient comme un art de la fugue, parfois difficile à suivre pour le récepteur. Il est vrai qu’il manifeste un goût marqué pour des formules elliptiques dont il lui arrive de reconnaître et de chercher à atténuer l’excès (conférence de 1965)
Beaufre conclut l’introduction à la stratégie par sa formule générale de la stratégie :
S= k F Psi t
Soir F pour les forces physiques ou matérielles
Psi pour les forces psychologiques ou morales
k représente une sorte de variable d’ajustement quantitative occasionnelle qu’il nomme « coefficient propre au cas particulier résultant de la conjoncture locale et générale. » [24]
La guerre se réalise dans l’épreuve des volontés et des forces. Cependant la guerre n’est pas la stratégie. En sorte que, écartant les conceptions purement militaires trop réductrices (stratégie géométrique de Jomini, stratégie dynamique de Clausewitz et de Moltke l’ancien et même l’étincelle mystique du génie de Bonaparte) Beaufre se référant ici à Lénine propose d’« atteindre la décision en créant et en exploitant une situation entrainant la désintégration morale et matérielle de l’adversaire » [25]
Donc si F est petit Psi doit être grand. "La stratégie indirecte est celle où l’action psychologique sur l’adversaire s’exerce par les moyens les plus directs en utilisant si nécessaire la durée ». [26]
De l’ensemble des éléments examinés nous pouvons inférer que la pensée beaufrienne de la stratégie s’organise autour de deux pôles : d’une part la totalité et d’autre part la dichotomie entre mode direct et mode indirect.
Beaufre divise la stratégie en deux grandes branches : directe et indirecte. Chacune d’elle se subdivise en stratégie à but absolu et à but limité, soit quatre vastes catégories plus ou moins emboîtées.
Le contournement de la dissuasion nucléaire par une manœuvre indirecte s’apparente à la manœuvre hitlérienne dite de « l’artichaut » de 1935 à 1939. Evidemment à cette époque il n’existait pas d’armement nucléaire. La stratégie indirecte vise seulement à manœuvrer la crise pour éviter la guerre dans la mesure où celle-ci n’apparaît pas (encore) comme l’option la plus favorable. Mais une fois le nucléaire advenu, « la stratégie indirecte est l’art de savoir exploiter au mieux la marge étroite de liberté d’action des forces militaires échappant à la dissuasion par les armes atomiques afin d’y remporter des succès décisifs, malgré la limitation parfois extrême des moyens militaires qui peuvent y être employés ». [27] Il s’agit bien d’éviter la guerre nucléaire, devenue absurde et d’utiliser des crises et des guerres limités afin d’affaiblir l’adversaire qu’on ne peut plus affronter directement.
Beaufre recense les différentes tentatives des stratégistes pour établir des principes : Mahan, Douhet, Liddel Hart, et, le plus hermétique de tous, Foch qui se connait que l’économie des forces et la liberté d’action. Tout en se démarquant avec ironie de ce jeu traditionnel de définition de principes qui se voudraient « l’alpha et l’oméga de l’art militaire », Beaufre ne peut cependant manquer de s’y adonner. Aussi retient-il quatre principes tous centrés autour de la notion de décision.
Constatons l’existence d’une distinction (non explicitement énoncée). D’une part les principes pour la guerre, de nature politico-stratégique, correspondant aux buts de guerre, à savoir le résultat final espéré une fois engagée la force, c’est-à-dire dès lors que l’usage de la violence modifie l’état de la situation. D’autre part les principes opératifs de la conduite de la guerre ou encore de la « stratégie militaire pure », celle-là dont il convient désormais de relativiser l’importance au regard de la contrainte exercée par le fait nucléaire.
Assemblés, en quoi consistent ces principes ?
Premièrement, la décision oriente le plan qui fixe le but final. Tout est subordonné au but à atteindre, en l’occurrence obtenir la décision au regard des mobiles qui conduisent à développer une stratégie.
Deux, elle doit être possible, donc à la mesure des moyens dont on dispose « Vous n’achetez pas une voiture si vous n’avez que cent francs en poche ». Aussi piètre financier que Clausewitz pour qui la guerre exige de « payer au comptant », Beaufre ignore superbement le crédit qui cependant constitue un des ressorts de la stratégie !
Trois, elle doit être recherchée au moindre prix aussi rapidement que possible et de la façon la moins hasardeuse.
Quatre, la décision ne s’obtient que très rarement par un duel pur : « dans un conflit on est toujours au moins deux mais en outre il y a souvent des alliés dont les intérêts sont différents des nôtres…. Et il y a toujours les neutres dont le poids peut être décisif ». [28] Beaufre y ajoutera par la suite, les organisations internationales.
Tout en relevant l’extrême imbrication des concepts entre eux, formant une chaîne insécable et logiquement irrécusable incontestable… : nous proposons ici de les organiser en deux triptyques : les « motivants » à savoir liberté, décision et volonté qui sont de l’ordre de la conception ; et les « opérants » : plan-force-manœuvre qui sont de l’ordre de l’exécution. Le plan se trouve à la charnière entre ces deux ensembles car il est conçu en vue de l’exécution.
Premier tryptique : liberté, décision, volonté
1. La Liberté politique et stratégique
« Le concept de liberté politique (- qui -) est à l’origine de toute la manœuvre stratégique. [29]
« La clef de tout est la liberté d’action et le risque en guerre froide n’est autre que la perte de la liberté d’action. » [30] « La stabilité des effets de la dissuasion, comme la solidarité des risques, réduisent très nettement la liberté d’action des partenaires en dehors de la guerre froide. A l’âge nucléaire, il n’y a plus de liberté d’action totale. » [31]
Y en a-t-il jamais eu dès lors qu’il reste encore un adversaire debout qui n’a pas encore capitulé. Liberté de décision politique et liberté d’action stratégique forment donc un tout, sachant que la lutte pour la liberté d’action constitue l’essence de la stratégie.
La stratégie c’est donc, en actes, la liberté agissante. Cependant on se gardera de trouver là une intervention dans le débat philosophique fondé sur le sujet et l’individu. Cette liberté dont parle Beaufre est celle d’un collectif, d’un Etat, se résorberait-il in fine en la décision solitaire du dirigeant suprême. L’obsession de ce dirigeant politique doit être de « gagner des degrés de liberté d’action ». Toutefois, la liberté d’action des adversaires est elle-même limitée. La contrainte de l’un renvoie à celle de l’autre. On voit donc au travail dans la réflexion beaufrienne une logique de réversibilité des situations des acteurs qu’il qualifiera là encore de dialectique et qu’il exprime dans la métaphore de l’escrime.
2. La Décision
Considérant que la décision politique constitue le niveau supérieur de toute stratégie Beaufre l’étudie en tant qu’objectif et achèvement suprême auquel auront concouru plan, manœuvre et forces. C’est pourquoi, il est primordial de rechercher toujours la décision. Elle constitue en effet ce moment critique qui fait basculer d’un état à un autre. Est décisif ce qui est irréversible. La bataille décisive brise la volonté ennemie de poursuivre la guerre.
Beaufre ne dit jamais « remporter la victoire ». Il reste prudent à l’égard d’une notion importante voire absolue au regard de la guerre mais très relative en stratégie. Pas plus qu’une bataille à elle seule ne conclut la guerre dans la durée d’un affrontement majeur.
« La décision est un événement d’ordre psychologique, acceptation par l’adversaire des conditions que l’on veut lui imposer …. le convaincre qu’engager ou poursuivre la lutte est inutile. » [32]
3. La Volonté
Elle est placée au cœur de la définition de la stratégie : duel des volontés, dialectique des volontés, épreuve des volontés… Beaufre reprend la formule de Foch : « l’essence de la stratégie git dans le jeu abstrait qui résulte de l’opposition de deux volontés. [33] A quoi s’ajoute la référence à Clausewitz : le duel a pour finalité de soumettre l’ennemi (l’Autre) à sa volonté.
Cette volonté résulte de la force morale, celle des dirigeants combinée à et renforcée par celle des peuples. La volonté est donc l’expression supérieure du facteur psychologique au regard de la force qui résulte de l’ensemble des composantes physiques.
Les éléments Phi et psy ne sont pas en opposition mais en symbiose, en relation dialectique. Toutefois, selon les situations, l’un peut être secondaire par rapport au premier et inversement.
Second triptyque :
4. Le Plan
« Tout plan stratégique doit viser la décision par un enchaînement d’événements clairement conçus. »Et d’ajouter : « Un tel principe pourrait être superfétatoire si nous n’avions pas constaté en 1870 et en 1940 que l’on pouvait ouvrir un conflit sans savoir comment on le résoudrait » [34]
Le plan doit envisager une décision à la mesure de nos possibilités et par les moyens les plus économiques. [35] Se souvenant de la dure leçon de la crise de Suez, Beaufre précise : « il doit être établi dans les limites de la liberté d’action résultant de la conjoncture internationale ». [36]
Le plan se construit en recourant à la méthode prospective. La prévision - qui n’est pas prédiction, martèle Beaufre - intègre la planification comme composante à part entière : « il faut prévoir les réactions adverses possibles à chacune des actions envisagées et se donner la possibilité de parer chacune d’elles. » [37]
Le plan de manœuvre intervient comme application du plan « supérieur » ou stratégique.
« Atteindre les objectifs fixés par la politique en utilisant au mieux les moyens dont on dispose » [38]
5. La Manœuvre
Il faut pouvoir atteindre l’objectif visé quelles que soient les réactions adverses » [39]
Cette manoeuvre est dite « contre aléatoire » en référence aux analyses de Pierre Vendryès mentionnées plus haut à propos des opérations de Bonaparte à Marengo suivant une logique probabiliste. Mettant en perspective historique pensée et pratique stratégiques, Beaufre distingue deux écoles :
D’un côté la « dynamique rationnelle », du fort au fort, par l’action de toutes les forces réunies contre la masse principale adverse. Il s’agit évidemment de Clausewitz, de Foch et de Napoléon.
D’autre part, Beaufre considère l’« école des combinaisons », où il range Turenne, de Saxe et Bonaparte de préférence à Napoléon. « Dans ce cas la décision s’obtient par l’action cumulée des opérations sur les théâtres réputés secondaires…. » [40] Il s’agit donc de l’approche indirecte conforme à la théorie élaborée par Liddel Hart. Nous sommes dans la conception de la conduite stratégique de la guerre.
6. La force et les forces
La notion de force est primordiale. Elle figure dans la définition de la stratégie en tant qu’élément constituant. Toutefois Beaufre la considère de diverses manières. Est-elle uniquement militaire ?
Considérant les forces dans l’espace et dans le temps, Il procède à une anatomie de la force [41] tenue pour indispensable car son usage constitue l’étalon de mesure et de classement des modes de la stratégie. Ainsi lorsque la force militaire est principale c’est le mode direct ; lorsqu’elle est secondaire c’est le mode indirect.
A partir de là Beaufre établit les niveaux d’action de la force. [42]
. Paix complète
. Guerre froide. Elle est elle-même subdivisée en :
niveau d’intervention « insidieuse » et
en niveau d’intervention directe.
Viennent ensuite les « niveaux d’affrontement »
. Guerre classique
. Guerre nucléaire.
Fréquemment dans ses différents ouvrages, Beaufre recourt à cette notion de niveau pour qualifier des ordres de nature différente. Suggérons, pour clarifier, de distinguer entre le niveau de qualité de l’affrontement (la situation) et le niveau de responsabilité (la décision).
Beaufre distingue également des niveaux pour la dissuasion et pour l’action… Il les place en relation étroite avec la position hiérarchique du décideur, le niveau du commandant en chef. Mais chaque niveau a son décideur propre. « La stratégie c’est ce que je fais » avait déjà suggéré De Lattre et après lui Ailleret. [43] Cette hiérarchisation des niveaux et leur interaction dynamique sera explicitée et développée par Lucien Poirier dans les années suivantes selon une distinction entre stratégique, opératif et tactique.
Sont d’abord présentés les constats et les convictions initiales qui en procèdent. Sachant qu’avant lui bien d’autres comme Gallois et surtout Ailleret ont amplement développé tous les aspects techniques Beaufre s’intéresse davantage aux conséquences politico stratégiques d’une situation devenue totalement inédite. Il expose très succinctement les propriétés techniques de l’arme nucléaire à commencer par la puissance de destruction instantanée dont Hiroshima et Nagasaki firent la redoutable preuve. « La base de la dissuasion nucléaire, c’est la certitude des destructions qu’entrainerait l’emploi de ces armes puisque l’on ne peut s’en protéger que de façon très incomplète. » [44] Parallèlement, la manœuvre dissuasive est complétée par un facteur essentiel, l’incertitude soigneusement entretenue dans l’esprit de l’adversaire. « Il faut absolument éviter toute action ou toute déclaration qui viendrait lever l’une des hypothèses que l’adversaire peut craindre. » [45] C’est cette relation dialectique entre certitude et incertitude qui rend pertinente la logique probabiliste mesurant le calcul entre le risque et l’espérance de gain. [46] Constatant l’inéluctable fin du court monopole américain, Beaufre figure parmi ceux qui énoncent l’émergence de la dissuasion mutuelle et s’efforcent d’en décliner les conséquences durables au niveau politico-stratégique. Cette stratégie nouvelle obéit à une logique paradoxale : « une sécurité par un danger. » [47] Elle repose sur un principe fondamental : « Si la dissuasion se limite à empêcher un adversaire de déclencher sur soi-même une action que l’on redoute, son effet est défensif, tandis que si elle empêche l’adversaire de s’opposer à une action que l’on veut faire, la dissuasion est alors offensive. [48] Face aux armes nucléaires il n’est point de défense totalement efficace : seulement des capacités protection susceptibles de réduire l’impact de la première frappe afin d’assurer la survie de la riposte en représailles. Ainsi le mécanisme dissuasif est-il garanti. Car la crédibilité de la dissuasion nucléaire repose sur la capacité de riposte en second et « la dialectique des représailles de seconde frappe ». Qu’est-ce qui assure une capacité de seconde frappe ? Toutes les forces qui auront survécu à l’attaque en premier. Comment garantir cette survie sinon par la protection qui revêt quatre formes :
. le durcissement et l’enfouissement des silos de missiles fixes ;
. l’évasion grâce à l’invulnérabilité des sous-marins lanceurs d’engins, indétectables, en patrouilles permanentes à la mer ;
. la mobilité : les bombardiers en patrouille permanente, les porte-avions doté d’une capacité aéroportée de frappe nucléaire. Les missiles mobiles terrestres ne sont pas encore envisagés même si les études ont déjà commencé.
. Enfin la « protection anti-engins » que nous appellerions aujourd’hui défense antimissiles, c’est à-dire la capacité à diminuer la puissance de la frappe désarmante en premier. Relevons que c’est exactement la problématique de ce qui en 1983 sera présenté par le président Ronald Reagan comme l’extraordinaire innovation de l’IDS laquelle, il est vrai, osait envisager l’installation d’armes dans l’espace exoatmosphérique.
Il en résulte une capacité de survie suffisamment considérable pour décourager l’ennemi fut-il le plus téméraire, de faire le pari d’une frappe désarmante en premier totalement efficace.
Dans ses écrits de 1963-65 Beaufre ne pouvait immédiatement prendre en compte l’innovation technique constituée par les MIRV [49]. Mais dès leur apparition il comprend que cette évolution complique de manière considérable l’efficacité, déjà toute relative de la défense. A mesure que se développent les négociations de maîtrise des armements américano-soviétiques, il examine positivement la conclusion du traité ABM qui permet d’éviter une course aux armements ruineuse en bridant la défense anti missiles.
Considérons ces théories. Elles ne se développent qu’avec Gallois (la guerre 120 secondes) et Poirier jusqu’en 2002. Paradoxalement ce sont surtout les Terriens qui pensent le nucléaire qui pourtant ne sera pas leur arme !
Sauf P-M Gallois qui vient de l’armée de l’air et pense dans ces termes.
Déjà de Lattre, Castex et bien d’autres avaient pressenti qu’à la courte période du monopole allait succéder un duopole obligeant à revoir de fond en comble la mesure du rapport de forces et les principes stratégiques en découlant.
Vient donc en effet, laborieusement, la mise en place des doctrines déclaratoires. Beaufre prend en compte ces évolutions des discours stratégiques des Etats-Unis que l’on nommera bientôt « stratégies déclaratoires » au regard des capacités techniques : représailles massives (massive retaliation), puis riposte graduée (flexible response). Ces conceptions sont sans équivalents du côté soviétique où l’on s’en tiendra à la doctrine du maréchal Sokolovski fondée sur l’emploi des armes nucléaires bien plus que sur la dissuasion et indifférente à la notion de maîtrise coopérative des armements (arms control)
Stabilité & Escalade
Le terme « stabilité » est devenu un lieu commun, une sorte de litote ou un vœu pieux désignant un état d’équilibre idéalement espéré, en réalité jamais atteint. Beaufre n’a jamais cédé à cette paresse qui ferait de la stabilité une fin en soi. Au contraire, au fil de ses écrits, on le voit triturer la notion en jouant de son envers : l’instabilité ; l’ensemble étant régi par un principe d’équilibre. La stabilité, concept mécanique, résulte de la dynamique engendrée par la confrontation des mobiles et des décisions qui fixent les objectifs politiques. [50]
Ce concept joue un rôle fondamental. Son usage par Beaufre se révèle d’une extrême complexité. Car il introduit la notion de « stabilité intrinsèque par opposition à la stabilité occasionnelle d’action ». [51]
Une conception purement stratégique….. qu’il faut entendre dans une dialectique de la dissuasion et de la guerre.
« Le niveau nucléaire tend normalement à la stabilité, le niveau classique à l’instabilité » Une stabilité nucléaire absolue finit par annuler les bénéfices de la dissuasion.
La stabilité nucléaire absolue est dangereuse car elle finit par annuler l’efficacité dissuasive. Les deux capacités s’annulent et rendent possible la guerre conventionnelle pas seulement par manœuvre indirecte.
Il faut donc introduire une certaine quantité d’instabilité pour limiter la liberté d’action des antagonistes et de leurs alliés de manière à « stabiliser ce qui peut être dangereux tout en conservant une parcelle de risque » [52]
Beaufre en vient alors à considérer la nécessité des armes nucléaires tactiques afin de créer une continuité dissuasive entre la guerre nucléaire stratégique et la guerre classique. « Il est indispensable que le niveau classique soit rendu complètement solidaire du niveau nucléaire par la menace d’emploi des armes atomiques tactiques. [53] A nouveau l’on constate la coïncidence de point de vue avec les thèses de Liddel Hart. [54] En 1972 Beaufre réaffirme cette conception : seul un lien de niveau tactique entre les armes nucléaires stratégiques et les forces classiques permet de conserver la crédibilité d’une dissuasion. Mais il ne s’agit nullement d’emploi opérationnel sur le terrain comme les Etats-Unis avaient pu l’envisager dans les années 1950.
Relevons que c’est finalement le schéma que, sur la base des travaux du général Poirier et des propositions fécondes du général Fricaud-Chagnaud [55], retiendra la France au début des années 1980 : une (seule) armée classique, mais relativement puissante, une force nucléaire « préstratégique » modeste mais susceptible de délivrer un « ultime avertissement » avant l’engagement potentiel des forces stratégiques.
La prolifération…
Elle est envisagée par Beaufre dans le contexte très particulier des efforts français et chinois pour atteindre la capacité nucléaire, puis thermonucléaire.
« L’existence de forces nucléaires indépendantes tend à réduire l’aire d’expansion de la guerre froide » [56].
Dès lors que s’accroît le nombre des acteurs nucléaires, « les pronostics de succès sont de plus en plus hasardeux et que par conséquent la situation est beaucoup plus stable que si deux adversaires étaient seuls en présence. » [57].
Beaufre se montre très circonspect à l’égard de la prolifération. Il la place dans son contexte originel la compétition coopérative entre les deux adversaires-partenaires et la mesure à l’aune de la logique du multilatéralisme. C’est en effet le moment où les deux Etats commencent à s’engager dans un processus de réduction des activités nucléaires, notamment le traité sur l’arrêt des essais atmosphériques et à en verrouiller l’accès à ceux qui, à l’instar de la France et de la Chine développent leurs capacité ; le Royaume Uni demeurant un cas à part.
Ni les Etats-Unis ni l’Union soviétique ne souhaitent que de nouveaux arrivants ne viennent compliquer le jeu du rapport des forces nucléaires, soit en créant de dangereuses alliances au bénéfice de l’un contre l’autre, soit en augmentant le danger des situations de crise. Or Beaufre réfute cette idée (voir ci-dessous). La situation ne sera pas plus instable et aucun « petit état nucléaire » ne s’aviserait de jouer les provocateurs. Pour autant Beaufre n’entend pas encourager la prolifération des armes nucléaires dont les risques ne sont que trop évidents (exemples) et ne croit pas, contrairement à P.M. Gallois, que de la multiplication des Etats dotés d’armes nucléaires adviendrait un monde plus stable.
« Chacun sait aujourd’hui que la guerre est devenue ouvertement totale c’est-à-dire menée simultanément dans tous les domaines, politique, économique, diplomatique et militaire… il ne peut donc y avoir de stratégie que totale. » [58] Voilà. Tout est dit avec une constance qui n’a jamais quitté l’esprit de Beaufre depuis son article de 1939. [59].
L’innovation de Beaufre est de considérer qu’il existe en permanence une manœuvre stratégique dans la mesure où il n’y a pas d’état de guerre déclaré mais la paix n’est pas établie. La stratégie consiste donc à agir dans la totalité des domaines affectés par cette situation de « paix-guerre » ou guerre froide.
Bien entendu la guerre froide constitue une forme d’affrontement intermédiaire entre paix et guerre. Le blocage (que Beaufre nomme « bi stabilité relative ») lié aux armes nucléaires et à la forte bipolarisation des deux camps favorise le recours au contournement de la dissuasion par une manœuvre indirecte.
Dans l’esprit de Ludendorff –qui publie en 1935 soit dix ans plus tard que le Mein Kampf de son piètre acolyte Adolphe Hitler (putsch raté de la Brasserie à Munich en 1923) la guerre est un englobant de la politique, de l’économie, de la démographie même. Elle est identifiée au volk unité raciale qui lui donne légitimité et nécessité. C’est, si l’on veut, la forme extrémiste de la grande stratégie. Eine Kriege. La guerre est unité, fusion avec l’Etat et Peuple.
Considérons, en regard, vingt ans plus tard, en pleine guerre froide l’ordonnance de février 1959 qui créée le secrétariat général de la défense nationale. La défense est permanente et ubiquiste. La mission du nouvel organisme est de coordonner l’ensemble des activités de l’Etat pour préparer la montée en puissance de la défense nationale dans l’éventualité d’une crise majeure pouvant déboucher sur la guerre et afin de prévenir une possible surprise stratégique. Tel qu’il s’exprime et s’organise, l’esprit de défense n’entretient aucun rapport avec le totalisme racial de Ludendorff.
Et pourtant des termes reviennent, obsédants : grande stratégie, stratégie totale, intégral, intégrante [60] : A travers cette recherche de la juste épithète qu’il soit permis de soupçonner une hésitation et se demander si tout est parfaitement clair pour de Lattre, Beaufre et même pour Poirier, attaché à la notion de stratégie intégrale. Pourquoi cet erratisme ? Comme si, sentant l’existence d’un objet la pensée ne parvenait pas à le fixer conceptuellement. Ne serait-ce pas parce qu’il appartient davantage à l’idéal qu’à la réalité d’une mise en œuvre constamment en défaut et comme, finalement, impraticable, y compris pour les Etats totalitaires. [61] En tous les cas, force est de constater que ce « totalisme » ne rencontre pas l’esprit des gouvernements changeants d’une démocratie, reposa-t-elle sur le bipartisme. A fortiori en France, la pluralité des partis, la diversité de leurs courants et l’émiettement des factions rendent impossible la réalisation sur la durée d’une telle entreprise quand bien même serait-on parvenu à la concevoir. Et pourtant, en l’absence de persévérance du vouloir de l’autorité politique, il existe des tendances de fond et de long terme susceptibles d’assurer une véritable continuité. Elle assurée par les non-politiciens : les grands « corps » formant une trame associant industrie-hauts fonctionnaires civils et militaires, fondations et think tanks. Plus que le complexe militaro industriel c’est une véritable technostructure qui assure la permanence du dessein. A quoi s’ajoutent des courants de pensée durables : en dépit de leurs échecs les neo conservateurs américains sont parvenus à occuper durablement une part importante du champ intellectuel aux Etats-Unis et dans certains pays européens.
La prise en compte précoce en Indochine et en Algérie du fait idéologique et de l’action sur les esprits conduit Beaufre à développer ultérieurement, soit dix ans plus tard, une réflexion générale sur la guerre révolutionnaire. Ultérieurement, parce qu’il a voulu prendre ses distances à l’égard de l’ébullition des années 1955-1960 et générale, de manière à ne pas se limiter aux seuls cas indochinois et algérien qu’il connaît parfaitement. L’action révolutionnaire ne s’arrête en effet jamais. Beaufre a voulu embrasser toute la dimension et décrire toutes les formes d’un phénomène permanent à travers l’histoire. Les développements de la guerre américaine au Vietnam ont donné l‘occasion de mener une réflexion sur la guerre révolutionnaire (ou, pour mieux dire, la guerre des révolutionnaires) en se rapportant ses propres expériences à un nouveau contexte mais encore familier.
Il aborde le phénomène dans Stratégie de l’Action de 1966 et lui consacre un ouvrage spécifique en 1972. Il en fait une des composantes de la stratégie indirecte où le facteur psychologique joue un rôle primordial supérieur à l’usage classique de la force armée. « La stratégie indirecte vise à atteindre la volonté adverse par des procédés politiques, diplomatiques, économiques – et militaires - où l’action militaire proprement dite ne jour qu’un rôle mineur. Le moyen le plus puissant alors est le recours à la guerre révolutionnaire, qui est le plus sûr moyen de mobiliser les passions nationales, de s’assurer des complicités dans le camp adverse et d’obtenir le soutien souvent décisif, d’une opinion mondiale sympathisante. Celle-ci, à son stade initial et faute de puissance, fait un large usage du terrorisme… » [62] Ici Beaufre reprend, mais sans en faire mention, l’essentiel des analyses sur la Guerre Révolutionnaire développées entre les années 1955-60 notamment dans la « Revue Militaire d’Information » par de jeunes officiers comme Lucien Poirier, Maurice Prestat, Pierre Saint Macary. A l’époque, l’homme de l’action psychologique et du Cinquième Bureau, le colonel Charles Lacheroy faisait autorité. A leur suite, Beaufre expose la dynamique des phases : terrorisme-guérilla-guerre régulière culminant par l’ultime tentative de prise de pouvoir mais dont le développement, eu égard aux fluctuations du rapport des forces n’est pas nécessairement linéaire.
« Le recours à la guerre révolutionnaire est possible chaque fois que les conditions psychologiques permettent d’entraîner le soulèvement des populations. » [63] Et d’ajouter, plus matérialiste que Marx : « En fait, l’appel aux forces révolutionnaires n’est payant qu’autant que le terrain psychologique est rendu instable par des difficultés économiques ou par des distorsions sociales » [64]. Qu’entendre par « forces révolutionnaires » et que leur opposer ? Un bon analyste de la révolution chinoise, David Galula [65] a utilisé le terme de « loyalistes » Mais à quoi ? Au gouvernement en place ? A l’Etat supposé légitime du seul fait de son existence ? Le révolutionnaire ne se sent lié par aucun serment, bien au contraire. Son jeu est régi par les seules règles qu’il s’est donné à lui-même. La guerre révolutionnaire est totale précisément parce que son but politique est absolu : la prise de pouvoir sans compromis ; le renversement de l’ordre antérieur et l’établissement substitutif d’un nouveau système intégral (politique, économique et social) exprimé par un discours idéologique renvoyant à des valeurs nouvelles (en ce sens toutes les idéologies se valent objectivement). Beaufre pose la notion de révolution sans préjugés idéologiques. Est révolutionnaire toute forme d’entreprise qui vise à substituer un ordre économico-social établi à un autre, à renverser les valeurs traditionnelles pour les remplacer par d’autres jugées meilleures. Beaufre fait comprendre que les dirigeants démocrates de l’époque, pas plus d’ailleurs que les communistes se sont refusés à admettre, jusqu’à ce qu’il soit bien trop tard, qu’Hitler était un authentique révolutionnaire…Ses adversaires l’ont considéré et traité comme un homme politique, certes excessif mais ordinaire… un réactionnaire certes outrancier voué finalement à s’insérer dans les catégories politiques traditionnelles. Or Hitler s’est bel et bien déclaré révolutionnaire dès le début de son action qui disputait à tous les autres concurrents et pas seulement aux communistes le ralliement de la majorité d’un peuple allemand traumatisé par une crise économique sans précédent.
Le premier malentendu concerne le projet de force nucléaire multilatérale. Il est de circonstances et l’on en prendra acte pour l’Histoire. Le deuxième porte sur la stratégie indirecte. Il résulte souvent, chez les lecteurs hâtifs, une « étourderie » facile à dissiper si l’on prête attention aux termes exacts définissant les problématiques. La relation entre action et dissuasion constitue le troisième malentendu. Il est évidemment bien plus grave puisqu’il s’est enraciné dans la longue durée et persiste dans de nombreux esprits. Beaufre y a lui-même contribué.
A partir de 1961 commence le « Grand Débat » pour reprendre le titre du livre de Raymond Aron [66]. Il s’agit de la force multilatérale « intégrée », proposée par les Etats-Unis afin d’éviter la multiplication des acteurs nucléaires indépendants. Elle est définie par les accords de Nassau du 21 décembre 1962 entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. La chaîne de commandement reste sous l’autorité de SACEUR donc d’un officier américain. De plus les forces intégrées seraient dotées de missiles « polaris » fabriqués par les Etats-Unis. C’est donc sans surprise que le général de Gaulle avait opposé dès le 16 décembre 1962 un refus aussi aimable que catégorique au premier ministre britannique Harold Mac Millan venu lui en faire la proposition lors de leurs entretiens de Rambouillet. Par la suite restera pour les Etats-Unis à savoir comment gérer au moindre mal ce refus français. On sait les entraves considérables que les responsables américains mirent à la réalisation de l’arme thermonucléaire française. La MLF fut enterrée en 1965 d’abord par les travaillistes britanniques puis par le président Johnson constatant que jamais le Congrès n’autoriserait un partage de la décision nucléaire.
Or Beaufre a été critiqué pour avoir soutenu le projet d’américain. Allégation erronée mais un premier malentendu avait été créé. Nous souhaitons ici le dissiper d’autant plus facilement que la position de Beaufre est claire : « En visant par l’intégration à conserver le contrôle complet de toutes les forces nucléaires, les Américains tendent à maintenir et à accroître encore le décalage intellectuel entre alliés, aujourd’hui si néfaste » [67]
Finalement, ce débat mort-né ne mériterait guère de mention s’il n’avait durant cinq ans mobilisé les plus grandes énergies et les meilleurs intellects ; s’il n’avait fonctionné comme révélateur des vues des uns et des autres au regard de l’enjeu majeur que représentait pour la France l’édification de sa force de dissuasion nucléaire entièrement souveraine, c’est-à-dire émancipée de toute protection. Plus encore, ce débat touche aussi à la question de l’intégration de la France au sein de l’OTAN et par la même à la fiabilité des alliances.
Beaufre accepte implicitement l’idée du maintien d’un lien librement consenti, donc forcément contraignant, avec les Etats-Unis.
Point d’intégration mais une sorte d’association, « une véritable équipe de championnat » mais il ajoute : « le troisième partenaire doit bien comprendre que son rôle s’inscrit dans un ensemble et que son action doit être d’appuyer et de compléter l’action de son allié…. Indépendance ne veut pas dire égoïsme aveugle… » [68]
Une conception catégoriquement rejetée par de Gaulle qui n’envisage que la séparation totale des moyens nucléaires. Avec virulence Albert Wohlstetter [69] dans un article intitulé « le partage nucléaire, l’OTAN et la nième pays (n+1) » fustige le perturbateur proliférant français. De son côté, le général Gallois n’a pas d’expressions assez cruelles pour ridiculiser la « farce » multilatérale. Dans ce débat, extrêmement dur, les documents de l’IFDES [70] présentent Raymond Aron et son collaborateur Pierre Hassner comme des « centristes ». Non certes politiquement encore que les centristes « atlantistes » comme Jean Lecanuet, candidat aux présidentielles de 1965 aient fait campagne pour l’intégration totale du nucléaire français dans les forces américaines. Les documents les font apparaître plutôt comme des gens qui refusent de se ranger au côté du radicalisme de Gallois tout en restant quand même favorables à l’existence d’une arme nucléaire française, se rapprochant ainsi des américains « compréhensifs » comme Kissinger en quête d’accommodements.
Etrange cette relation d’ambiguïté au regard des Etats-Unis ! On doit s’en démarquer mais on ne saurait se passer d’eux. Le dilemme persiste un demi-siècle plus tard. Pour l’heure, on trouve Beaufre toujours animé par le souci d’éviter la rupture avec Washington alors que la diplomatie gaullienne ne cesse d’élargir le fossé à l’occasion du discours de Pnom Penh de septembre 1966 qui propose une alternative à la politique des Etats-Unis au Vietnam. De son côté, en 1967, le CEMA, le général Ailleret teste publiquement l’idée d’une défense « tous azimuts », c’est-à-dire « non dirigée ».
Afin de clarifier cette attitude fluctuante et complexe à l’égard des Etats-Unis, distinguons trois temps
Le premier, fort bref, est un éblouissement face à la machine que Mac Namara installe en 1961 au Pentagone et aux intellectuels américains « whiz kids ». Cet agrégat de « crânes d’œuf » brillants et péremptoires impressionne jusqu’à la fascination. Comment n’auraient-ils pas raison ? Mais ces constructions abstraites se heurtent à l’obstination des faits, aux dures réalités de terrain. [71]
Le deuxième temps est donc celui de la réfutation. Car loin d’entrer dans l’orbite de Mac Namara, Beaufre s’en dégage rapidement d’une part en contrant point par point l’argumentaire américain et d’autre part en développant une vive critique de la doctrine de riposte graduée mais aussi à l’égard de l’acharnement américain contre l’effort nucléaire français pour se doter des armes nucléaires alors présentées une petite force nucléaire indépendante serait à la fois « inefficace, inutile et dangereuse ».
Le troisième temps consiste à élaborer des contre-propositions. Elles reposent sur l’affirmation d’une position nettement différente mais sans rechercher pour autant l’affrontement et la rupture avec les Etats-Unis. Ayant rejeté l’intégration nucléaire, quelle alternative propose Beaufre ? Une dissuasion nucléaire européenne… [72] Qu’il est donc cruel et par trop facile le regard rétrospectif qui constate ce qu’il en est advenu un demi-siècle plus tard ! Mais il est vrai que les Etats-Unis avaient favorisé en 1965 la création d’un Eurogroupe nucléaire au sein de l’OTAN après l’échec de la MLF.
A l’insoluble dilemme du multilatéralisme vient s’adjoindre, contiguë, la non moins délicate question des alliances et l’égoïsme rapporté au risque nucléaire. Affaire d’une telle importance qu’elle dépasse durablement les bornes du débat sur la MLF.
La guerre nucléaire est une chose trop grave pour que l’engagement soit automatique et que l’égoïsme ne prévale pas sur l’attachement fut-il le plus profond à une alliance. Telle est la thèse de Gallois à laquelle de Gaulle adhère pleinement en ayant fait l’expérience préalablement durant la guerre. Or sans le nommer explicitement Beaufre critique la position « excessive », « mal informée » d’un stratège français qu’il ne nomme pas, en l’occurrence Gallois. « Il y a là une exagération évidente qui repose en grande partie sur une appréciation inexacte des caractères de la dissuasion nucléaire » [73] Beaufre fait donc valoir que « la dissuasion nucléaire ne consiste pas à employer des armes atomiques mais au contraire à n’utiliser que leur menace » [74] Or cet argument parfaitement valable passe mal ; qu’il s’agisse de Beaufre ou par la suite de Poirier ; qu’il s’agisse de la période actuelle de l’après guerre froide. On constate, plus qu’un obstacle épistémologique, une sorte de blocage de l’imagination, une butée de l’intellect humain à concevoir cette virtualité d’une menace suspendue sans devoir nécessaire s’actualiser, de l’existence d’une arme présente et bien réelle mais non actualisable.
Le deuxième malentendu est de nature sémantique, qui tourne autour de l’épithète « indirect ».
Mode direct, mode indirect, stratégie indirecte et approche indirecte constituent autant de notions majeures de la réflexion beaufrienne. Beaufre distingue entre paix et guerre un état particulier la « paix-guerre » qui prévaut dès lors qu’il existe une situation d’hostilité. C’est le temps de la stratégie indirecte qui s’emploie à user insidieusement la volonté et les capacités de l’ennemi. Beaufre ne récuse pas l’existence d’une stratégie du temps de paix elle consiste à acquérir des positions avantageuses. Loin de constituer une période d’inaction, le temps de paix est employé à acquérir des positions stratégiques de plus en plus en plus favorables. Reste à savoir jusqu’à quel point il est permis de pousser l’avantage. Où et quand se situera le seuil où une puissance voisine n’estimera pas inquiétant voire inacceptable le déséquilibre de potentiel ainsi créé en sorte que l’état de paix laisse la place à la paix-guerre ? Beaufre s’efforce de clarifier : « l’approche indirecte vise la victoire militaire. … La stratégie indirecte est celle qui attend l’essentiel de la décision par des moyens autres que militaires [75]. Et d’ajouter : « J’ai rangé l’approche indirecte dans la stratégie directe » [76]. Raisonnement parfaitement juste. Mais qui, dans sa précision, convient mal aux lecteurs pressés (il y en a tant !)
En conséquence la stratégie indirecte selon Beaufre n’est pas du tout la manœuvre d’approche indirecte de Basil Liddel Hart. Car celle-ci se développe dans le temps de guerre entre forces combattantes certes toutes engagées mais pas forcément de la même manière. Le stratégiste britannique récuse la stratégie frontale visant à écraser directement et d’un coup le gros des forces de l’ennemi. Il préconise l’approche indirecte appliquant la force sur les points faibles et les théâtres apparemment secondaires de manière à déséquilibrer le centre de gravité de la puissance de l’ennemi. Mais dans les deux cas il s’agit d’une situation de guerre ouverte comportant l’emploi des moyens de destruction physique dont on dispose sans retenue particulière dans l’usage de la violence. Beaufre connaît bien cette conception qu’il préconise volontiers pour le temps de guerre en tant qu’« école des combinaisons » comme on l’a vu plus haut. Mais c’est autre chose qu’il entend par stratégie indirecte.
En dépit de l’effroyable échec de l’expédition des Dardanelles montée par Churchill en 1915, la suite de la guerre montrera la pertinence de l’analyse géostratégique du « ventre mou », (soft underbelly), C’est l’offensive Sarrail en Serbie, Lawrence en Arabie et Allenby en Palestine. A quoi on doit ajouter l’impact économique du blocus naval de l’Allemagne. Mais aucune de ces opérations, à elle seule, ne pouvait suffire. Elles ne détournèrent pas Ludendorff de son suprême effort de l’été 1918. Constatons ici encore que l’on en revient au principe fondamental de la nécessaire combinaison des moyens et de la complémentarité des approches dont l’une ne saurait réaliser efficacement sans le concours de l’autre.
Troisième malentendu la relation entre Dissuasion et Action
Beaufre a publié successivement deux ouvrages qui développaient en l’approfondissant la synthèse que constitue l’Introduction.
Après avoir traité de la dissuasion dominée par le fait nucléaire il s’interroge sur l’action. Il a ainsi donné le sentiment que l’un s’opposait à l’autre et par la suite une facilité de pensée a conduit à simplifier ce qui ne l’était pourtant pas.
Dans la présentation de Stratégie de l’Action il fait mention des travaux de l’IFDES sur la stratégie indirecte. [77] Les archives confirment (voir Fonds Beaufre-IFDES, CDEM) que dans l’orientation des études s’est produit un glissement vers l’étude de l’Action subdivisée en mode direct et en mode indirect.
Par gout des formules frappantes, Beaufre radicalise sa pensée. « Quand on veut empêcher il y a dissuasion, quand on veut acquérir il y a action ». Bref, quand on veut contraindre on agit et quand on cherche à contrer un projet de contrainte on dissuade. Priorité au positif ici, au négatif là. Ainsi en revient-on à une conception binaire de l’offensive et de la défensive. Voilà qui peut surprendre de la part d’un esprit si préoccupé du maniement de la dialectique. Toutefois l’équivoque majeure tient à la conception de l’action.
La dissuasion nucléaire, de par son ampleur, celle des moyens mis en œuvre ainsi que la dimension de son ambition politique, est action. Quand je construis et manœuvre les forces nucléaires j’agis mais mon but reste négatif car mon mobile premier est la conservation à travers le statu quo. Quand « j’agis » -ici le vocabulaire nous fait défaut- mon but est positif car le mobile premier est l’acquisition d’un avantage.
Il est une autre complémentarité. En effet la dissuasion nucléaire couvre « l’action » des forces classiques en dégageant des degrés de liberté. La dissuasion est aussi une contre dissuasion à l’égard des menaces qui pourraient être brandies par l’adversaire [78] et plus encore par son ou ses alliés.
« D’abord il faut marquer très nettement que les deux concepts ne sont isolés que dans des cas extrêmes et exceptionnels. Normalement, dissuasion et action sont intimement combinées et en quelque sorte complémentaires comme je l’ai expliqué par ailleurs (Stratégie n°1) ». Puis il précise : « Bien plus, l’action peut remplir un rôle dissuasif, tout comme la dissuasion peut parfois tenir lieu d’action. Ce n’est que pour simplifier l’étude de l’action que je m’efforcerai d’isoler artificiellement ce concept. » [79]
« Le mode d’action de la dissuasion s’oppose essentiellement à celui de la guerre en ce que le premier vise à empêcher de prendre une décision d’intervention, alors que le second, vise à forcer à prendre la décision d’accepter les conditions que l’on veut imposer. » [80]
En faisant le choix, que j’oserais qualifier d’éditorial, d’une apparente dichotomie entre action et dissuasion Beaufre a enraciné un faux sens et manqué ce qu’il cherchait : ce fameux concept englobant rendant compte de l’unité de l’Action sous toutes ses formes et, par là même, adéquat à sa conception de la stratégie totale.
1. Une pensée libre, mais non sacrilège
Beaufre se révèle un critique acerbe des défaillances du jugement des hommes surtout des chefs militaires et politiques. Il analyse les fautes stratégiques de 1914, de 1940 et de la guerre d’Algérie. Mais on le trouve profondément attaché à l’institution militaire, à son éthique, à ses devoirs. Ainsi en juin 1973 s’oppose-t-il publiquement (en compagnie de Gaston Bouthoul, fondateur de l’Institut Français de Polémologie) au général de Bollardière dont le pacifisme outrancièrement militant contrevient à ses yeux à l’étude objective de la stratégie et de la polémologie. [81]
2. L’obsession de la rigueur intellectuelle
L’exigence méthodologique impressionne. Beaufre découpe le champ stratégique, classe les objets, hiérarchise des niveaux. La clarté de l’énonciation éblouit. Beaufre fait preuve d’un sens de l’aphorisme qui confine à l’ellipse. Qu’objecter et comment ? On en conclut parfois plus ou moins admirativement à l’implacable rigueur ou rigidité de la pensée beaufrienne. Faux marbre ! En réalité Beaufre travaille à partir des débats, des recherches, des tâtonnements de ses groupes d’études. Il effectue des synthèses fulgurantes. Le lecteur en retire le sentiment que la formule clôt le raisonnement. Il n’en est rien. Derrière l’accomplissement se poursuit une recherche incessante. Beaufre est trop sensible à la dialectique pour ignorer que rien ne s’arrête dans la compétition des projets. Cette volonté d’approfondissement explique les fréquents retours sur des propositions apparemment identiques mais constamment soupesées, reconsidérées jusqu’à la confirmation finale ou l’ultime retouche, jamais définitive.
3. Obsolescence ou actualité de la paix-guerre : vers la stratégie permanente
La paix-guerre aura donc déterminé les rapports de force et régi les équilibres de puissance durant près d’un siècle. Si la guerre froide constituait une situation de paix-guerre, qu’en est-il aujourd’hui une fois sa fin advenue ?
Cette problématique conduit presque nécessairement à s’interroger sur la caractérisation de la situation que connaît le monde depuis la fin de la guerre froide. Peut-on parler de paix alors que la violence persiste à s’exercer mais sous d’autres formes que les moyens militaires ? On constate ces vingt dernières années un grand trouble des esprits qui se traduit par l’indécision sémantique. Métaphores, métonymies, litotes l’embarras à désigner l’objet recourt à toutes les figures du discours.
Ainsi d’un côté à tort et à travers on utilise jusqu’à l’inflation le mot guerre : guerre économique, guerre financière (déstabilisation par la finance spéculative) pour désigner des formes de concurrence et de rivalités parfois dures mais somme toute ordinaires. D’un autre côté on se refuse à l’employer, lui préférant le mot crise dite « humanitaire » (Kosovo,1999) ou « militaire » (Ukraine, 2014).
Pour clarifier, suivant Beaufre, posons que la paix-guerre est reconduite, avec d’autres acteurs, sous d’autres formes, avec d’autres moyens aux trois conditions suivantes : dès lors qu’il existe, fondé comme tel par une déclaration de guerre de principe, fut-elle unilatérale, un ennemi ; dès lors qu’il existe des mouvements révolutionnaires (peu importe leur idéologie) poursuivant un but absolu, désignant un ou des ennemis à abattre ; dès lors que les dirigeants de telles organisations sont capables de faire suivre leurs paroles par des actes d’agression à travers le monde. Cette clarification en induit une autre concernant l’état de crise.
4. Les catégories de crise : une grille de compréhension
Ayant introduit une distinction entre stratégie du temps de « paix-guerre » et stratégie du temps de guerre qui peut être fondée sur le mode indirect qu’il recommande en tant que « école des combinaisons » Beaufre pose explicitement la question du statut de la crise.
Première acception, « traditionnaliste » : la crise constitue une phase plus ou moins longue de tension, entendue au sens traditionnel de transition incertaine entre une paix qu’elle perturbe et la guerre qu’elle place en perspective.
Deuxième acception, « révolutionnaire » : l’action révolutionnaire est incessante. « Révolution permanente » avait dit Trotski. Elle ne connaît de paix qu’avec la réalisation de son but absolu partout dans le monde. Alors, oui adviendrait la fin de l’histoire : la paix absolue. S’étant fixé un but absolu, le renversement de l’ordre établi et la prise du pouvoir par une classe ouvrière mythique – ni en Russie, ni en Chine elle ne s’était développée -, Lénine et Mao installent leur action dans cet état de paix-guerre, sorte de crise permanente. La lutte des classes constitue une temporalité de crise identifiable à l’histoire elle-même.
Troisième acception, nucléaire : en situation de polarité où la stratégie de dissuasion est directement active la crise tend à devenir une modalité de la stratégie indirecte par laquelle, en courant un risque limité, un acteur teste et éprouve la volonté de son adversaire. Il peut en résulter un gain forcément limité, un échec de portée similaire ou encore une sorte de « pat » échiquéen comme dans le cas de la crise de Cuba.
5. La relation entre les facteurs physique et psychologique : pour la stratégie permanente
Dès le départ, Beaufre a placé cette relation au cœur de sa définition de la stratégie dans la formule
S= k F Psi t
Or ces « guerres » sans armes et ces pseudo crises finissent par occulter la guerre en sa vraie nature, à savoir, l’usage de la force, l’acte de violence destructeur qui, à travers le choc psychologique de la volonté brisée, crée sinon l’irréparable, du moins l’irréversible. Boulets, obus et missiles demeurent des outils radicaux en ce qu’ils modifient l’état de la matière : hommes et matériaux et avec eux l’état de la situation.
La relation entre F, la force (ou Phi pour physique mais Beaufre ne recourt pas à ce symbole) et Psi est en variation permanente selon les situations, induisant différents dosages. Beaufre n’a pas manqué de désigner le terrorisme comme un outil d’une redoutable efficacité sur la psychologie des sociétés occidentales, propre à servir la guerre des révolutionnaires en raison des vulnérabilités des sociétés occidentales « psychologiquement, le développement sans mesure des moyens d’information donne une résonance immédiate et mondiale au moindre incident. » [82]
Cinquante ans plus tard, le développement des nouveaux vecteurs de communication en tant qu’armes « douces » et, par leur truchement, le recours massif à la propagande et à la désinformation confirment, en l’amplifiant, cette analyse. Toutefois le but reste identique : renforcer sa propre volonté de combattre, affaiblir celle de l’adversaire, acquérir la supériorité. Permanence de la stratégie qui, au-delà et peut-être mieux que la stratégie totale, nous incite à évoquer la stratégie permanente.
Abréviations des titres des ouvrages ou articles les plus fréquemment cités en référence
Intro pour Introduction à la stratégie
D&S pour Dissuasion et Stratégie
SdA pour Stratégie de l’Action
RFT pour Revue des Forces Terrestres.
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Plus
La série consacrée au grands stratèges français par François Géré sur Diploweb
. Au Commencement était de Lattre.
. André Beaufre et l’Institut Français d’Etudes Stratégiques.
. Charles Ailleret, stratège français.
. Général Lucien Poirier : une oeuvre stratégique majeure
. Pierre Marie Gallois : stratège et pédagogue de la dissuasion nucléaire
[1] La carrière de Beaufre est détaillée par le général de Boissieu à l’occasion de l’éloge funèbre publié dans Stratégie n°39 , 3ème trimestre 1975.
[2] « L’artisan de la force de dissuasion », Le Figaro 1968, Crises et guerres, op.cit.p.319-321.
[3] Se reporter à l’article sur le maréchal De Lattre dans Diploweb
[4] Grasset, 1966
[5] Introduction à la stratégie, Armand Colin, 1963, p.
[6] « Pour une renaissance de la stratégie », Revue des Forces Terrestres, juillet 1958, p.17
[7] René Descartes, Discours de la méthode, seconde partie p.71, Vrin.
[8] On se reportera au tableau p.31, Introduction à la stratégie.
[9] Stratégie de l’Action, p.27
[10] Ibid. p.35
[11] De la Probabilité en Histoire, Albin Michel, 1952 p.224sqq.
[12] Ibidem, p.288-89.
[13] S d A p.27
[14] Ibidem, p 91-92
[15] D&S, p.35
[16] D&S p.53
[17] D&S p.37
[18] Stratégie de l’Action p.71-72
[19] IFDES N°53/DOC/ACT I, mars 1965, Etude de la stratégie indirecte. Etude logique des contradictions, p.1. Archives Fonds Beaufre/IFDES, CEDEM.
[20] S d A, p.72, la note 1 éclaire la connaissance et l’intellection beaufriennes de Mao explicitant par là même la différence de conception.
[21] Stratégie n°30, Offensive et defensive, p.5, printemps 1972.
[22] Intro p.15
[23] Intro p.121
[24] Stratégie de l’Action, p.113 note 1
[25] Pour une renaissance de la stratégie”, Revue des Forces Terrestres, juillet 1958, p.14
[26] Stratégie de l’Action, p.113 (les italiques sont de Beaufre).
[27] Archives IFDES, et 1961
[28] “Pour une renaissance de la stratégie”, Revue des Forces Terrestres, juillet 1958, p.17
[29] Stratégie de l’Action, op.cit. p.80
[30] D&S, p. 59
[31] Ibid. p.113
[32] Intro p.17
[33] Intro. p16
[34] RFT, juillet 1958 p.
[35] RFT, juillet1958 p.
[36] RFT p.17
[37] Intro p.19
[38] Intro p.17
[39] Ibidem, p.18
[40] Ibidem, RFT, 1958
[41] p.82-83
[42] Formulation également présente dans « Dissuasion &Stratégie » p.22-32
[43] Préface à l’ouvrage de Léo Hamon, « La stratégie contre la guerre », op.cit, p.
[44] D&S, p.34
[45] Intro, op.cit. p.72-73.
[46] De cette relation que Beaufre qualifie « d’extraordinairement subtile » j’ai essayé de rendre compte dans une étude globale : François Géré, Quatre généraux et l’Apocalype : Ailleret-Beaufre-Gallois-Poirier, Stratégique, n°53 1er trimestre 1992
[47] D&S, op.cit.p.72
[48] Ibid. p.21-22
[49] Multiple Independent Reentry Vehicle, in « Crises et Guerres », op.cit.p.191,sqq
[50] Stratégie de l’action p. 60 et suivantes.
[51] SdA, p.64 et suivantes.
[52] Dissuasion & Stratégie, p.80
[53] Ibid. p.66
[54] Deterrent or Defence, 1960, La Table Ronde pour la traduction française
[55] Directeur de la Fondation pour les Etudes de Défense nationale de 1978 à 1983.
[56] p.103 D&S
[57] D&S p.104
[58] Intro, p.11
[59] « La Paix-Guerre ou la stratégie d’Hitler », Revue des Deux-Mondes, 15 août 1939.
[60] Communication de Gabriel Périès. « La guerre totale dans le discours doctrinal du colonel Beaufre », La guerre totale, sous la dir. de François Géré et Thierry Widemann, Economica, 2001
[61] Sur ce frémissement de la pensée stratégique on pourra se reporter à la contribution du général Poirier, Stratégie intégrale in La guerre totale, op.cit p.129.
[62] « Terrorisme, stratégie et politique » in Crises et guerres, op.cit. p.225
[63] La guerre révolutionnaire, Fayard, 1972, p.50
[64] Ibidem, p.50
[65] Contre insurrection, théorie et pratique, RAND C°, 1964, réédition française, Economica, 2008
[66] Calmann-Lévy, 1963
[67] D&S p.100
[68] D&S, op.cit, p.101-102.
[69] Devenu incontournable depuis son article de 1959 dans la revue « Foreign Affairs » The Delicate Balance of Power, où il expose rigoureusement la dynamique mutuelle de la première et de la seconde frappe nucléaires.
[70] Archives, IFDES doc 1963, Fonds d’archives du CEDM.
[71] Sur le nucléaire et, plus encore, sur les erreurs du Vietnam voir le célèbre livre de David Halberstam The Best and the Brightest , 1969.
[72] article non daté dans le recueil Crises et Guerres , Presses de la Cité, p.222.
[73] Dissuasion & Stratégie, p.97
[74] Dissuasion & Stratégie, p.97
[75] Introduction, op.cit. p.96
[76] Ibid. p.96
[77] Stratégie de l’Action, p.5
[78] Par exemple le chantage soviétique de Suez en décembre 1956 dont on s’accorde à reconnaître aujourd’hui qu’il fut grandement surestimé.
[79] Stratégie n°7, « Introduction à la stratégie de l’action », p.6, 1er trimestre 1966
[80] Dissuasion et Stratégie p.21 n.1
[81] « Pacifisme et non-violence », in Crises et Guerres , Presses de la Cité, 1974.
[82] Terrorisme, stratégie et politique, « Crises et Guerres » op.cit. p.226.
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